Galabru, homme-orchestre

Interview / 55 ans de carrière sur les planches, 250 films au cinéma et à la télévision : Michel Galabru est à Lyon pour jouer Les Rustres de Goldoni et évoque pour nous avec lucidité les leçons tirées au long d'un parcours unique. Propos recueillis par Christophe Chabert

Peut-on dire que vous avez cherché pendant votre carrière à rendre le divertissement noble ?Je ne vais pas faire le saint. J'avais de grandes difficultés pour me glisser dans le métier. Je n'avais pas de relations, je ne connaissais personne. Je suis parti de Lyon, j'ai atterri dans une petite chambre de bonne, je n'avais pas d'argent, j'étais très timide, je n'étais pas beau ; j'avais tout contre moi. Je suis allé à la solution logique : j'ai passé le concours du conservatoire. Comme au début j'étais très intimidé par le jury, qui était composé de gens très connus, je paniquais et je me présentais dans des cassures, des Géronte, car je pouvais les jouer tête baissée. Je me suis présenté trois ou quatre fois avant de réussir à ce concours où il y a une dizaine de places pour 800 candidats. La quatrième fois, le jury a dit : "Il faut lui donner le premier prix sinon le public va nous casser la gueule". La Bruyère l'a dit avant tout le monde : celui qui fait rire dans une soirée, il ne va pas briller, les gens vont l'oublier, ils ont ri par complaisance en trouvant ça grossier, mais ils admirent celui qui ne dit rien dans son coin. Nous sommes tous en train de jouer un rôle, tout est théâtral. Le sérieux participe de ce théâtre que l'on est obligé de faire. Moi, on m'a donné un César pour Le Juge et l'assassin, on ne me l'aurait jamais donné avant. Même si c'est vrai que j'ai fait des conneries...Il y a eu des rencontres marquantes, quand même ?C'est rare. Ma rencontre, c'est Tavernier, homme très attentif aux comédiens, qui allait même dans les cafés-théâtres pour dénicher des acteurs... Ou Anouilh au théâtre : j'ai joué Les Poissons rouges avec lui et j'ai été passionné par la façon dont il mettait en scène. J'ai fait 7 ans à la Comédie Française, j'ai eu de très beaux rôles. J'ai vu venir Claudel, Gide, ce sont des choses qui comptent dans votre carrière.Et des complicités avec d'autres acteurs ?Un acteur de la troupe a dit : "Oh, Michel, il est sauvage !". Une autre disait : "Maintenant que la pièce est finie, il ne te téléphonera pas..." C'est vrai, je ne garde pas de relations. C'est un tort dans ce métier où il faut toujours souffler sur le feu. Pour dire les choses, je n'ai jamais fait de la lèche !Bernadette Lafont, par exemple, garde un grand souvenir de votre collaboration...C'est différent. On a fait L'Eau à la bouche ensemble, et c'était une petite sauvageonne. Moi j'avais une formation classique, tandis qu'elle, elle ne savait rien. Et elle s'est rendu compte qu'elle devait se fier à sa présence, sa fraîcheur, sa beauté... Je lui ai un peu fait découvrir le métier.L'Eau à la bouche est un des films fondateurs de la Nouvelle Vague... Pourquoi ne pas avoir continué avec cette bande de cinéastes-là ?Je ne demandais que ça !Vous étiez raccords avec ce que ces gens-là cherchaient : des acteurs nouveaux, avec un jeu plus naturel...Oh, oui, bof ! Il y avait un côté amateur chez certains dans la Nouvelle Vague. L'eau à la bouche, c'est pas très fort, quand on le revoit...Je ne suis pas tout à fait d'accord...Ce n'est pas plus fort que les Gendarmes ! Mais vous voyez : la Nouvelle Vague, c'est bien, y a une recherche, c'est nouveau... C'est comme pour le théâtre !Cette envie, on la retrouve dans les films que vous avez tournés avec Jean-Pierre Mocky...Le cinéma, c'est l'art du metteur en scène ; le comédien, c'est zéro. Si vous avez un bon metteur en scène, vous pouvez lui donner un chien, il en fera un chien génial. La preuve, certains tournent avec des amateurs : Bresson et Doillon n'aiment pas les acteurs professionnels, et ils font de grands films ; Pascal Thomas choisit beaucoup d'acteurs amateurs, et ils sont parfaits. Le cinéma, c'est le metteur en scène. Il imprime sa couleur, son optique, son talent, comme un romancier ; il construit avec des paysages, des musiques, des silences et des acteurs qu'il a choisis parce qu'il les voit ainsi. Tavernier avait cette vision de moi que je n'avais pas en tant qu'acteur ; quand il m'a proposé le rôle, je lui ai dit : "Dufilho serait meilleur que moi".En quoi alors le metteur en scène serait-il moins important au théâtre ?Au théâtre se produit une ambiguïté. En travaillant avec certains metteurs en scène de théâtre, pas tous évidemment, on se rend compte qu'ils ne savent rien faire, y compris ceux qui ont une réputation. Qu'est-ce que c'est qu'un metteur en scène de théâtre ? Souvent un type qui a échoué en tant que comédien... Nous, on les voit venir. Quand il vous dit : "Quand j'étais comédien...", et qu'il essaye de vous imposer une intonation que vous sentez fausse, vous comprenez pourquoi il a échoué. Mais c'est lui qui vous commande ! Ça n'empêche pas qu'il y ait d'excellents metteurs en scène ; mais, le fait est précis, ceux-là ne disent rien. Ils installent leur table avec la petite lampe, ils ont un assistant pour le café, ils vous mettent en place, mais il n'y a aucun conseil de jeu. En fait, ils donnent le mouvement général et laissent chaque comédien découvrir ce dont il est capable sur scène.Vous jouez aujourd'hui Les Rustres. Avez-vous souvent abordé le répertoire théâtral italien ?J'adore les Italiens. J'ai toujours rêvé de faire jouer "à l'italienne" justement. Notre théâtre vient de l'Italie ; Molière a emprunté des pages entières au canevas italien. Quand j'étais jeune, j'ai été très impressionné par le Piccolo Teatro de Milan ; mais pas le Piccolo Teatro de maintenant, très intellectualisé, celui de 47-48, qui fut une révélation à Paris. C'était du délire, un balais prodigieux, un mélange de Charlie Chaplin et de Raimu. Ces gens-là parlaient avec un naturel extraordinaire, dans un mouvement de conversation très soutenu. Dans la vie, quand on parle, on parle l'un sur l'autre, et au cinéma on appelle ça "chevaucher" ; chez Woody Allen, ça chevauche tout le temps. Et le théâtre italien, c'est pareil. Mais on pourrait jouer des classiques français comme ça : la scène du "poumon" dans Le Malade imaginaire, par exemple. Mais on en reste au style Comédie Française. Un beau style, certes, mais qui relève du jardin classique.

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