Godfather of techno

Activiste des balbutiements techno lyonnais, Dj émérite et aujourd'hui pilier de l'organisation de Nuits Sonores, P. Moore se raconte et livre au passage un parfait précis d'histoire électronique. Propos recueillis par Emmanuel Alarco

P. Moore : À l'origine je suis musicien (10 ans de batterie), ensuite j'ai rapidement découvert le Dj'ing via les sorties nocturnes dans les années 80. Là j'ai eu un parcours classique pour l'époque : mix dans les clubs généralistes et à la fin des années 80, évidemment, découverte de sons plus électroniques, la révélation. J'ai plaqué les clubs généralistes au début des années 90 pour me consacrer à fond à l'électronique et très rapidement, on a attaqué l'aventure Hypnotik. Le principe, c'était d'organiser des soirées dans un squat sur les pentes qu'on avait réaménagé comme un club. Ça a sorti pas mal de Dj's locaux et je pense que ça a vraiment contribué à lancer le truc à Lyon. Ça a duré 4, 5 mois, l'hiver 93-94, et on a arrêté après moult péripéties, car évidemment, plein de gens ne voyaient pas ça d'un bon œil...Tu parles de révélation, qu'est-ce qui t'a vraiment "illuminé" ?Comme tous les clubbers, le vrai choc c'est les standards comme S Express en 87-88 qui font basculer la house ou le funk très club vers des choses plus techno. Ensuite, je me suis très vite dirigé vers le son techno de Detroit et de Chicago avec Juan Atkins, Derrick May, les godfathers de l'électro américaine. Ce qui est sûr, c'est que je suis plus rentré là-dedans par la musique black que par des trucs comme Kraftwerk ou la new wave qui ne me parlaient pas des masses. Revenons-en à Lyon...Après Hypnotik, c'est l'explosion de la scène techno en France, la grande époque des raves : on continue à organiser des teufs, je commence à jouer un peu partout, à me faire connaître. Il y a une première tentative de collectif à Lyon, Man Machine, sous l'impulsion notamment de Vincent Carry. Ça n'a pas marché, je pense que c'était un peu prématuré. On enchaîne directement à Annecy avec Miloch qui crée Tekmics, avec un peu plus d'expérience, de maturité, de public et d'organisateurs. Ça va réellement prendre son envol et permettre à de nombreux artistes rhonalpins, comme Miss Kittin par exemple, d'exploser en France. Là, c'est vraiment les années fastes, les glorieuses 95, 96, 97, les fêtes étaient démentielles, les clubs cartonnaient, les très, très grandes années avant la répression, le business...Comment commence cette débandade ?Avec un gouvernement de droite et un ministre de l'Intérieur, Monsieur Pasqua, qui décide d'éradiquer le mouvement rave avec le prétexte hypocrite de la lutte anti-drogue. Le Préfet de Lyon, un de ses fidèles lieutenants, a commencé à appliquer cette chasse aux sorcières via l'intimidation des loueurs de salle et des déploiements de forces de l'ordre sur toutes les soirées. En plus, toute cette mauvaise publicité sur la drogue n'a fait qu'empirer les choses en drainant dans les soirées des gens beaucoup moins bien intentionnés qui en ont profité pour développer leur business... Il a fallu un très gros travail de fond pour remettre l'aspect culturel en avant. La raison de cet acharnement, c'est qu'il y avait une incompréhension profonde du mouvement. La drogue a été l'alibi bateau par excellence, c'était extrêmement simpliste. On n'a jamais nié les problèmes, mais il n'y en avait ni plus ni moins qu'ailleurs. Si leurs préoccupations en la matière avaient été réelles, on aurait pu être un des vecteurs pour trouver des solutions, plein de gens très sérieux étaient prêts à travailler sainement et à montrer patte blanche. Mais ils n'en avaient rien à faire, il fallait casser le mouvement car il y avait, entre autres, une grosse pression des syndicats de discothèques qui voyaient d'un mauvais œil l'arrivée de cette nouvelle "concurrence".Et toi dans tout ça ?À la fin des années 90, je mets la clef sous la porte, ras le bol des galères. Quand on ne prend plus de plaisir à aller jouer et qu'en plus on arrive à la trentaine, on décroche. Parce qu'il n'y avait pas que mes activités de Dj, j'étais vraiment impliqué dans le combat pour la légitimité de cette culture, j'ai donc fini par fatiguer, la passion avait pris du plomb dans l'aile, je ne m'y retrouvais plus. J'ai arrêté une "carrière", mais j'ai quand même continué à organiser ponctuellement des choses avec l'école d'archi où j'avais pas mal d'amis, ou à mixer de temps en temps, mais c'était plus d'ordre privé.Et tu t'y es remis avec Nuits Sonores ?C'est Vincent qui est venu me chercher en me présentant le projet. Au départ, j'ai dit : "c'est bon, j'ai donné, je crois plus au père Noël !". Mais il a su se montrer convaincant et me prouver qu'on pouvait faire quelque chose de sérieux et mettre à profit toutes les années de galères. Agoria a tenu une place importante, lui aussi. Mon rôle précis a évolué en trois ans, car jusqu'à récemment je travaillais à côté et je ne pouvais pas m'investir à 100%. Dans un premier temps, je me suis occupé de tous les projets annexes comme le Circuit électronique et de fil en aiguille, j'ai repris toute la coordination générale du terrain. Aujourd'hui, on a la chance de pouvoir bosser sereinement sur de vrais projets artistiques. On m'aurait dit ça y a 5 ans, je n'y aurais jamais cru, Lyon était vraiment sinistrée, alors qu'on sentait depuis un moment que c'était un vrai pôle au niveau artistique. Il y a un juste retour des choses avec l'émergence d'artistes comme Agoria, Le Peuple de l'herbe, Flore, etc. Je suis hyper content qu'une vraie scène renaisse, que les gens s'entendent entre eux, qu'il y ait une vraie solidarité et surtout, qu'on ait retrouvé un vrai public à ce niveau-là. Ça fait trois ans que je suis sidéré par la qualité du public de Nuits Sonores (même s'il n'y a pas que des Lyonnais), ça faisait très longtemps que je n'avais pas connu ça. Ça donne envie de se battre et de bosser comme un fou. On ne revivra pas ce qu'on a vécu, parce que c'était nouveau et spontané, mais je pense que ce qu'on vit aujourd'hui est tout aussi important. Il reste encore beaucoup à faire, mais c'est déjà pas mal...

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