L'art de faire durer le plaisir

Biennale / Sous le signe de l'expérience de la durée, la Biennale d'art contemporain 2005 fera notamment dialoguer les artistes d'aujourd'hui avec leurs aînés des années 60-70. Jean-Emmanuel Denave

Fébrilité et frissons sont palpables chez les amateurs d'art contemporain : aujourd'hui s'ouvre la 8e Biennale d'Art Contemporain, événement international majeur. Quelques chiffres en témoignent : soixante artistes invités, une trentaine d'œuvres produites pour la Biennale, plus de 100 000 visiteurs espérés, cinq sites d'exposition. Parmi ceux-ci, La Sucrière constitue le cœur du dispositif et le lieu le plus important en termes de quantité d'œuvres exposées. Le reste de la Biennale se répartit entre le Musée d'art contemporain, l'Institut d'art contemporain de Villeurbanne, le Rectangle et un petit nouveau, le Fort Saint-Jean. Thierry Raspail, directeur artistique, a confié le commissariat de la Biennale 2005 à Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, Dupont et Dupond de l'art contemporain, et directeurs (sur le départ) du Palais de Tokyo à Paris. Les deux inséparables annoncent la couleur de "leur" biennale en ces termes : "Il s'agit d'une biennale débarrassée de toute monomanie prospective, qui ne s'inscrit pas dans cette rotation rapide des valeurs qui imprègne parfois trop les grandes expositions internationales". Traduisons : cette Biennale ne sera pas une grosse foire avide de nouveautés et de petits jeunes que personne ne connaît, mais une vaste exposition réfléchie, fuyant le spectaculaire et le zapping faciles et cherchant à faire dialoguer les jeunes artistes avec leurs aînés, le présent avec notre passé culturel proche.Pourvu que ça dure...Cette approche originale de l'événement est totalement "raccord" avec la thématique générale retenue : "l'expérience de la durée". Soit un fil rouge très élastique, décliné en des directions et des problématiques diverses... Par exemple : la durée de l'expérience qu'implique la contemplation d'une œuvre, opposée à sa consommation ultrarapide (deux exemples emblématiques : les dix minutes nécessaires pour percevoir quelque chose dans l'obscurité de l'installation de James Turrell ; les six heures du film Sleep d'Andy Warhol). Ou encore, la "durée" de l'influence de certains courants artistiques toujours d'actualité selon les commissaires : ils présentent ainsi un fort contingent d'artistes de la fin des années 1960 et des années 1970, dont des conceptuels (rétrospective Douglas Hueber), des artistes de Fluxus (Yoko Ono, Erik Dietman, Jonas Mekas, Dieter Roth...), des figures de la musique expérimentale (La Monte Young, Tony Conrad, Terry Riley, Brian Eno), ainsi que quelques psychédéliques et spécimens underground. "C'est aussi pour nous l'occasion de revenir sur certaines problématiques nées dans les années 1960 et qui hantent toujours notre monde, comme la question du politique, des genders, du social..." déclarait Jérôme Sans à Art Press. Bref, il devrait souffler sur la Biennale un air d'expérimentation et de subversion qui n'est pas pour nous déplaire. En y ajoutant la présence de nombreuses "stars" (Franz Ackermann, Olafur Eliasson, Wim Delvoye, Pierre Huyghe, Rikrit Tiravanija...), c'est une Biennale pleine de promesses qui n'a plus maintenant qu'à les tenir...dans la durée.La Biennale en diagonaleIl s'agira ici d'attirer votre attention sur une poignée d'artistes et d'événements qui s'annoncent a priori comme incongrus, corrosifs ou tout simplement amusants. Une entrée par la bande dans une Biennale par ailleurs foisonnante, qui n'a rien d'exhaustif ni de représentatif... Avec pour commencer la présence d'un des artistes les plus dérangeants du moment : le Belge Wim Delvoye, connu pour sa "machine à caca", installation reconstituant chimiquement la digestion humaine. Au Rectangle, site qui lui est entièrement dédié, il présentera sa collection (sur 20 ans) de 4000 étiquettes de la "Vache qui rit", soit selon lui la reconstitution darwinienne de l'évolution d'une espèce un peu spéciale : la vache capitaliste. Il présentera parallèlement des peaux de porc tatouées et, grâce à des Webcams, son élevage de cochons "délocalisé" en Chine. "Mon Art Farm en Chine va devenir une société anonyme avec des actions. Je vais créer des bénéfices pour les investisseurs" déclarait l'artiste. Chine toujours avec l'artiste d'origine chinoise Wang Du, qui devrait parader ici et là dans Lyon à bord d'un lance-missile ! Ça risque de faire grincer quelques dents, mais peut-être moins que l'installation du jeune Kader Attia à la Sucrière : des enfants composés de mie de pain et enfermés dans une immense volière sous l'œil et le bec malveillants de plusieurs volatiles...UndergroundL'axe 60's-70's de la Biennale sera l'occasion de découvrir ou redécouvrir quelques figures clefs de la contre-culture et de l'underground de l'époque... Au Fort Saint-Jean notamment, dont la programmation est spécialement dédiée à ce sujet avec, entre autres, des archives "psyché" et des affiches sélectionnées par Alain Weill, ainsi que des films expérimentaux de Jean-Marc Chapoulie. Ou encore à travers la mini-rétrospective consacrée à Robert Crumb (dessinateur de Fritz the Cat) ou l'hommage rendu à la Sucrière à Robert Malaval (dont les œuvres mythiques ont croisé aussi bien le Pop'art, le rock, la SF, le zen que l'esthétique punk !). Plus proche de nous, Melik Ohanian (né à Lyon en 1969) présentera une de ces vidéos stupéfiantes dont il a le secret, jouant sur l'éclatement vertigineux des plans spatio-temporels. Vertigineux ou étonnantes expériences sensorielles, tels devraient être aussi les différents espaces qu'inviteront à parcourir ou à "vivre" Martin Creed (saturés de ballons de baudruche), Carsten Höller sous inspiration scientifique, John Bock (aux risques et périls du visiteur paraît-il), James Turrell, ou encore La Monte Young avec sa célèbre Dream House, environnement musical qui exige un état d'esprit plutôt zen... Du fromage, du lard, du pain, des friandises psychédéliques et un zeste de folie sensorielle : voilà en tout cas une bonne "entrée" pour une Biennale qui devrait offrir, en outre, bien d'autres plats de résistance.Expérience de la durée, Biennale d'art contemporainJusqu'au 31 décembre.Renseignements : 04.72.07.41.45. ou www.biennale-de-lyon.org

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