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No country for old men

Avec "No country for old men", les frères Coen réalisent un film rare, à la croisée du cinéma de genre (western, film noir) et du film d'auteur personnel, un concentré de cinéma brillant et intelligent. Christophe Chabert

Le désert, la route, des motels et des diners : un paysage américain traditionnel. Des tueurs, un magot, un shérif : des ingrédients empruntant autant au film noir qu'au western. Et un mélange d'humour noir, d'ultra violence et de métaphysique : l'archétype d'un film des frères Coen, tiré d'un roman de Cormac McCarthy. No country for old men pourrait se résumer à cette formule-là, et son commentaire à l'alchimie inexplicable qui s'en dégage. Difficile par exemple d'expliquer pourquoi les fusillades qui constituent le cœur du film sont si grisantes : une certaine perfection dans le traitement de l'espace, du temps et du son fait que l'on se sent immédiatement impliqué dans le suspense dément qui s'y instaure. Pareil pour la qualité du dialogue, point fort des frangins depuis un bail, mais atteignant ici un degré de maîtrise tel qu'il permet de rendre inoubliables les répliques laconiques du tueur implacable (Javier Bardem) comme le magnifique monologue final de Tommy Lee Jones. En cela, No country for old men est un film touché par la grâce.

La musique du hasard

Cependant, ce film impressionnant de maîtrise est aussi un film sur... le hasard. L'ange de la mort incarné par Bardem, qui met chacune de ses victimes face à l'absurdité de l'existence en jouant leur vie à pile ou face, rejoint à l'autre extrême le cow-boy ultra-terrestre (Josh Brolin, révélation !) s'enfuyant avec un sac rempli de pognon sans destination précise, dans l'espoir que ledit hasard lui permettra d'échapper à une fin funeste. Chacun d'entre eux tente à sa manière de maîtriser le réel, d'en abolir la part d'incertitude : les préparatifs des tueries et les parades imaginées pour en réchapper se rejoignent dans une même minutie que la séquence suivante peut balayer d'un revers de fortune. Au terme de ce sanglant jeu du chat et de la souris (ou bip-bip et le coyote, possible référence des Coen, fans de cartoons !), les nombreux moments de «reconstruction» physique provoquent peu à peu le sentiment d'une lutte dérisoire et sans issue, sinon la dégradation progressive des deux ennemis. Avec beaucoup d'ironie, le shériff (Tommy Lee Jones, impérial) qui devrait venir rétablir l'ordre s'avère ainsi particulièrement inactif, vieillissant et déprimé ; lui aussi a un alter-ego de l'autre côté de la loi, un tueur débonnaire mais pro qui, en définitive, n'aura pas plus d'impact pour modifier le cours du récit. Le dernier quart-d'heure du film prend une hauteur étonnante avec ce cirque de la violence au nihilisme cruel : un moment de poésie pure, un rêve raconté des sanglots dans la voix qui plonge le spectateur dans des abîmes existentiels. Puis les Coen nous laissent en plein désert, entre ciel et terre, paradis et enfer, seuls et habités par cette œuvre d'exception.

No country for old men
de Joel et Ethan Coen (EU, 2h02) avec Josh Brolin, Tommy Lee Jones, Javier Bardem...

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