Nippon d'or

Festival / Dix jours en immersion totale au pays du soleil levant. L’Opéra de Lyon est en ébullition, les équipes artistiques et techniques se préparent et s’affairent. En quatre opéras donnés en alternance, c’est l’idée d’un certain Japon qui se décline. Pascale Clavel

Avec le festival Japon, Serge Dorny vient confronter poliment le public lyonnais à ses paradoxes les plus profonds. Quatre opéras, quelques concerts, un jardin zen et des dîners spectacles, c’est toute une remise en cause de notre monde occidental contemporain qui s’opère.
À travers ce parti pris presque politique, profondément humain, totalement engagé, c’est toute la générosité de Dorny qui s’exprime. L’occident tout entier reste fasciné par ce pays mystérieux aux codes quasi inaccessibles, à la fois moderne et ancestral. Depuis toujours le Japon intrigue les occidentaux : des peintres, des écrivains, mais également des compositeurs s’y sont intéressés. Debussy, Messiaen, Ravel, Britten ont largement puisé dans cette culture.
Pour Serge Dorny, trois éléments ont engendré ce festival : l’intérêt particulier qu’il a toujours porté à la culture japonaise, le hasard des rencontres avec des compositeurs ou des œuvres ayant le Japon comme dénominateur commun et l’opportunité du 150e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Japon.
Depuis plusieurs années, l’Opéra de Lyon organise un festival autour d’un thème. Il y eu les femmes chez Janachek, puis Kurt Weill «de Berlin à Brodway», Offenbach compositeur sérieux et comique, les opéras en un acte fondés sur l’amour et le soupçon, maintenant cette immersion au cœur du Japon.Éloge de la lenteur
En quatre opéras, les portes d’entrées vers le Japon s’ouvrent en toute simplicité. Chacun questionne à sa façon le rapport au temps, celui que nous n’avons plus, celui où la lenteur est de mise.
Chacun propose une idée de l’espace, écrin épuré, où les mouvements portent tout le raffinement du théâtre Nô. Quatre lectures du Japon qui mettent en lumière une beauté du monde que nous avions oublié de regarder. Lady Sarashina, création mondiale de Peter Eötvös, ouvrira le festival. Cet opéra s’articule en neuf tableaux d’après les fragments du journal de Sarashina, jeune femme cultivée qui vécut dans le Japon du XIème siècle.
Eötvös porte sa Sarashina depuis 1998, depuis qu’il cherchait un texte pour récitant. De cette rencontre est né As I crossed a bridge of Dreams (tandis que je traversais un pont de rêves), théâtre sonore intime.
Quelques années plus tard, comme une obsession, Eötvös retravaille ce texte puissant, Sarashina est devenue soprano, un trio vocal a fait son apparition, il sera la part de rêve.
Quant à l’orchestration, elle est savamment équilibrée et fait apparaître trois clarinettes comme des ombres intenses et mystérieuses. Cette œuvre oscille de manière constante entre le rêve et la réalité. On est dans la sublimation, dans un autre rapport au temps. Le metteur en scène, Ushio Amagatsu, initialement chorégraphe, (il a déjà travaillé sur Les Trois Sœurs avec Peter Eötvös) insiste sur la notion de lenteur, de pesanteur du geste.
C’est un véritable défi pour ce metteur en scène japonais qui arrive dans une culture où tout bouge, où les solistes ne connaissent pas de type de travail. Il faut qu’ils s’approprient un langage radicalement nouveau. Éloge de l’épure
Benjamin Britten compose Curlew River (la rivière aux courlis) en 1964. Britten, fasciné par le Moyen-âge et admiratif du Japon compose cet opéra après avoir assisté à une représentation de Sumidagawa qui lui fournira la base de son opéra.
«Le tout m’a fait une impression considérable, l’histoire simple et émouvante… Le mélange de psalmodies, de paroles, de chant… Tout cela a été l’objet d’une expérience dramatique totalement nouvelle».
Là encore, c’est une femme qui est le sujet central. Une femme qui devient folle de chagrin après avoir perdu son fils, une femme dans l’errance.La mise en scène est ici confiée à Olivier Py, homme de théâtre, qui a su reprendre la forme du théâtre Nô où l’orchestre se trouve systématiquement sur scène.
C’est pourquoi Curlew River sera jouée au théâtre des Célestins où il n’existe pas de fosse d’orchestre et dans lequel le rapport scène-salle est acoustiquement extraordinaire. Éloge du geste
Hanjo de Toshio Hosokawa, créé en 2005 au festival d’Aix-en-Provence, prend sa source dans les Cinq Nô modernes de Mishima.
Hosokawa compose une musique d’un raffinement inouï qui épouse, sans présence excessive, un texte puissant sur l’amour et l’absence. Une femme attend le retour d’un homme connu autrefois. Son attente deviendra folie au fil du temps.
Un thème universel sur l’illusion amoureuse, sur le temps qui met en érosion tout sentiment, sur l’inévitable oubli.
La mise en scène dessinée par la talentueuse chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker nous plonge immédiatement au cœur de l’intime, de l’épure et de la sensualité.
De Keersmaeker magnifie souvent tout ce qu’elle touche, triturant le temps et les corps. Hanjo, dans cette configuration est un petit bijou. Ah non !
Celui qui dit oui, Celui qui dit non de Kurt Weill et Bertolt Brecht est à prendre comme une grande leçon de résistance. Celui qui dit oui, c’est celui qui accepte la «Grande coutume». Celui qui dit non, c’est celui qui la refuse.
Écrite d’après un conte japonais du XVe siècle, cette œuvre s’adresse en priorité aux enfants. La question posée, troublante d’actualité, invite à la réflexion : faut-il toujours obéir aux règles ? Espérons que la maîtrise de l’opéra, sous la baguette de Nichola Jenkins et dans la mise en scène de Richard Brunel saura nous indiquer le chemin…Festival Japon. Opéra de Lyon. Du 4 au 16 mars 2008

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