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Johnnie To, en visite à Lyon entre deux sorties de films pour inaugurer la rétrospective que lui consacre l'Institut Lumière, revient sur une filmographie complexe et labyrinthique où l'on passe de manière déroutante de l'expérimentation osée au plaisir mineur. Christophe Chabert
Sparrow va de nouveau dérouter les admirateurs du cinéaste qui ne se sont jamais remis de The Mission, PTU ou des deux volets d'Election. C'est une comédie avec un vague prétexte mafieux où quatre pickpockets Pieds Nickelés tombent sur plus fort qu'eux, un vieux de la vieille devenu parrain du racket à Hong-Kong, le tout pour les beaux yeux d'une jolie fille un peu victime et un peu complice de ce manège criminel.
C'est le genre d'objets mineurs dont Johnnie To est aujourd'hui capable entre deux grands films ; le regard du cinéaste y semble tout entier focalisé sur une scène finale effectivement époustouflante, un ballet de pickpockets sous la pluie et au ralenti, où les lames de rasoir sont comme la métaphore du montage souverain orchestré par le cinéaste.
«C'est un film sur ma nostalgie de l'ancien Hong-Kong, celui de mon enfance» explique Johnnie To. «C'est aussi un hommage aux Parapluies de Cherbourg...» L'analogie est poussée jusqu'à une surprenante considération politique : «Le gouvernement actuel de Hong-Kong est incompétent à préserver le patrimoine de la ville. Par exemple, le célèbre Victoria Harbour est en train d'être défiguré par les avancées immbilières sur l'océan.»La voie lactée
S'il n'en reste qu'un, ce sera Johnnie To. Tsui Hark revenu le sabre entre les dents et la queue entre les jambes de son expérience américaine, John Woo porté disparu depuis son magnifique Windtalkers, Wong Kar-Wai en vadrouille vasouilleuse partout dans le monde, To, lui, reste fermement accroché à Hong-Kong, où il a construit son petit empire cinématographique.
Milkyway enterprises, qu'il a fondé avec Wai Ka-Fai, est un studio dont l'objectif est de revitaliser la production locale, un peu embourbée après son deuxième âge d'or des années 90. «Nous avons créé cette société pour faire des films expérimentaux et personnels, mais aussi des oeuvres ouvertement commerciales pour financer la compagnie. Le but étant de permettre à des gens comme moi des faire des films différents ou originaux.»
Quand Johnnie To parle de films commerciaux, le spectateur français pense immédiatement à ses opus les plus funs et légers comme Breaking News ou Fulltime killer. En fait, ces films-là ne sont pas si impersonnels que ça ; la construction de Fulltime killer est tout de même extrêmement gonflée et Breaking news, de son plan-séquence d'ouverture éblouissant jusqu'à sa critique corrosive du système médiatique, n'est pas franchement le tout-venant.
Le cinéaste pense en fait à une pelletée de comédies romantiques inédites en France mais qui ont cartonné au box-office local, et dont les titres parlent d'eux-mêmes : Needing you, Loving you... «Mes films personnels font 10% des recettes de mes films commerciaux. Dans ces derniers, il y a beaucoup de dialogues, alors que vous n'êtes pas sans savoir que dans mes films personnels, je n'aime pas trop faire parler mes personnages...» Le sourire ironique qui accompagne cette remarque est une porte ouverte pour entrer dans le coeur de l'oeuvre de Johnnie To : ses polars abstraits, atmosphériques et melvilliens.L'Histoire secrète de Hong-Kong
Il faudrait pour cela partir de ce que l'on peut considérer comme le sommet de sa filmo : les deux Election, fresque sur les triades chinoises à Hong-Kong abusivement qualifiée de «Parrain made in HK».
«Mon but avec ces deux films étaient d'enregistrer l'Histoire secrète de Hong-Kong avant et après sa rétrocession à la Chine. Cette histoire secrète, c'est celle des gangsters, qui ont joué un rôle majeur dans l'édification de la ville.
Dans les années 60, il y avait 500 000 gangsters sur une population totale de 6 millions d'habitants. Le projet d'Election est donc de faire une fiction sur ce qui est arrivé à Hong-Kong ces trente dernières années.
S'il y a un Election 3, ce sera dans 10 ans, pour voir comment l'histoire a évolué, toujours du point de vue du gangstérisme.» Du coup, plus que Coppola, ce serait Ellroy la référence inconsciente de ce diptyque éblouissant...
Cela n'explique pas pourquoi, d'un volet à l'autre, la mise en scène, d'abord très physique et nocturne, s'est transformé en une chorégraphie mélancolique, faisant d'Election 2 un opéra crépusculaire et pourtant lumineux... «Quand j'ai fait quelque chose de classique, je n'ai pas envie de me répéter. C'est un processus de recherche, j'ai envie de faire quelque chose de nouveau, mais qui soit toujours important pour moi.»
Dans ses films les plus forts, à savoir The Mission, PTU et Exilé, l'art de la mise en scène envahit l'écran : To ne se pose que des questions d'espace et de durée, d'iconisation de ses personnages et de trajets narratifs accidentés et néanmoins d'une grande pureté.
En cela, il est, plus encore que Tarantino ou Kitano, l'authentique héritier de Jean-Pierre Melville. D'où son adoration pour Alain Delon, avec qui il espère toujours pouvoir travailler sur un prochain film, et son désir de tourner un remake du Cercle rouge. «Si nous avons de la chance, nous commencerons le tournage l'année prochaine... Sinon, l'année suivante, certainement.» Car To est productif, deux ou trois films par an en moyenne, débarquant dans le plus grand désordre sur les écrans français. «Ma passion pour le cinéma s'est intensifiée ces dix dernières années. J'essaie aujourd'hui de faire un maximum de choses car je sais qu'un jour, il faudra que je ralentisse la cadence...» Pas d'inquiétude toutefois : le mois prochain, Johnnie To n'aura que 53 ans...Rétrospective Johnnie To. A l'Institut Lumière jusqu'au 27 avril
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