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«Un film qui m'a libéré»

Entretien / Joël Séria, réalisateur de «Mais ne nous délivrez pas du mal» et invité de L’Étrange festival. Propos recueillis par CC

Petit Bulletin : D’où est venue l’idée de Mais ne nous délivrez pas du mal ?
Joël Séria :
J’étais pensionnaire dans les années 50, dans des collèges religieux. J’ai eu des mauvais rapports avec mes parents parce que je refusais la scolarité, et en 1952 ou 53, j’avais lu dans un journal un fait-divers, avec la photo d’une fille : elle avait tué sa mère avec une de ses copines. C’était une histoire très particulière, et j’avais été marquée par la photo de cette fille, très jolie, je l’avais découpée et gardée dans mon portefeuille.Ce fait-divers a eu un écho chez moi, même si je n’ai pas eu plus d’informations dessus. J’ai fini ma scolarité, je suis monté à Paris, j’ai d’abord été comédien puis j’ai décidé de me diriger vers la réalisation. J’écrivais des poèmes, même un premier roman non publié, et tout d’un coup j’ai voulu être réalisateur ; dans ma famille on adorait le cinéma, mais le cinéma du samedi soir !
J’ai fait deux courts-métrages, dont un avec Jean Seberg qui m’avait prêté de l’argent pour le tourner, sur l’entraînement des boxeurs. Et après cela, je me suis lancé dans l’aventure de Mais ne nous délivrez pas du mal, avec un producteur qui se lançait dans le long-métrage.
Quand il a fallu écrire un scénario, j’ai repensé à ma jeunesse, toutes mes histoires chez les curés, ce fait-divers… J’ai pensé d’abord à deux gamins, mais je me suis dit que ce serait mieux avec deux filles, en imaginant qu’elles tenaient un journal intime et faisaient de mauvaises actions tous les jours, puis en y ajoutant des choses très personnelles. J’étais un grand lecteur de Baudelaire, et je voulais rester dans cet univers.Le film est toujours très subversif aujourd’hui, mais quel a été son accueil à l’époque ?
Le film a été interdit totalement pendant neuf mois ! C’est l’Église qui a poussé à cette interdiction…Cette envie de choquer était-elle intentionnelle ?
Non, pas du tout, c’est pour ça que le film est subversif ! On nous avait prévenu, car il fallait donner un script pour obtenir l’agrément, que nous risquions une interdiction totale, mais j’avais des producteurs formidables, très libres. Et moi je ne risquais rien, j’avais 34 ans, c’était mon premier film… Je suis toujours resté dans cet état d’esprit, d’ailleurs. J’avais juste envie de faire des choses créatives.
Mais cette interdiction nous a beaucoup servi, et a lancé ma carrière de cinéaste ; le film a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et il a beaucoup fait parler de lui. Ce n’était pas l’image qui les gênait, mais le propos…Vous l’avez tourné en 1970, deux après les événements de 68…
C’était un peu dans la couleur de l’époque !Le film montre un courant libertaire, une histoire de désir libre, mais dans une France très profonde, encore dominée par la grande bourgeoisie…
Je l’avais vécu étant jeune, même si je ne venais pas de ce milieu-là. Mes parents avaient une très belle maison de pays, mais ce n’était pas des bourgeois. L’Église avait encore énormément de pression sur les gens, à l’époque…Il y a dans le film des références littéraires évidentes, comme Lautréamont ou Sade, mais peut-on aussi y sentir l’influence de Buñuel ?
Non, je ne peux pas dire que c’était une inspiration. En fait, je n’ai pas été alimenté par la Cinémathèque, car je vivais à Angers ; à l’époque, c’était le vide total d’un point de vue culturel, il n’y avait pas de cinémas d’art et d’essai, j’ai été nourri au cinéma du samedi soir. Quand je suis arrivé à Paris, il y avait la cinémathèque bien sûr, mais je ne voulais pas être cinéaste à l’époque, je voulais être auteur.
J’y suis allé ensuite, pas beaucoup, trois, quatre fois, pas plus. J’aimais beaucoup Buñuel, mais j’ai été beaucoup plus alimenté par les cinéastes italiens ; c’est peut-être pour ça qu’ensuite, les comédies que j’ai faites ressemblent à la comédie italienne.On pense aussi à l’esthétique de quelqu’un comme David Hamilton ; vous connaissiez son travail?Bien sûr ! Des gens m’ont dit que ça faisait penser à Balthus, mais je ne le connaissais pas à l’époque. C’est un film réellement sorti de moi, c’est celui qui me ressemble plus dans ceux que j’ai fait ; j’ai un côté paillard, grivois, que je revendique, c’est mon côté angevin !
Mais Ne nous délivrez pas du mal est le film qui m’a libéré. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai découvert le rire. Ma jeunesse avait été très difficile, j’avais été enfermé dans des collèges cathos, et le film était une libération totale. Le jusqu’auboutisme de la brune, c’était moi. D’ailleurs, j’ai rencontré Jeanne Goupil sur le film, et le scénario lui plaisait beaucoup alors qu’elle n’était pas de religion catholique ; ses parents étaient communistes, mais cet univers avait une séduction sur elle.
C’était comme des vacances pour elle, elle n’était pas comédienne, elle avait fait les arts-déco. C’est peut-être pour ça qu’il y a une forme d’allégresse dans le film…Il y a des traces de ce premier film dans les films suivants : après, les beaufs ordinaires remplacent les grands bourgeois, mais ce sont des personnages qui partagent une même autosatisfaction, une même inertie…
On me retrouve, c’est normal, en tant qu’auteur complet de mes films. Ce sont des caractères que j’ai rencontrés au cours de ma vie. Par exemple le personnage de Marielle dans Comme la lune : j’en ai croisé des comme ça. Ce sont des types séduisants même si on n’en ferait pas ses amis.
Mais je me reconnais aussi dans ce genre de personnages. Un homme, à ce degré de machisme, est aussi con que ça ; j’ai poussé le caractère très loin, en en faisant un naïf sans clairvoyance, mais j’y ai mis des traits qui viennent de moi. Dans Les Galettes de Pont-Aven ou les Deux Crocodiles aussi, je me suis mis beaucoup dedans.Le regard est toujours féroce, mais en même temps mélancolique, comme si ces gens-là avaient conscience d’être des ratés…
On évite d’être des ratés, mais on est tout au bord. Il faut faire des choses sans en prendre conscience, sinon c’est la mort, mais la marge est très mince entre le ratage et la réussite.Les personnages déploient une énergie considérable pour se mentir à eux-mêmes, et garder une surface flamboyante, ce qui leur donne toujours une santé à l’écran…
C’est vrai, et d’ailleurs, dans le film que je prépare, on retrouve cela. Ma sensibilité d’écriture va vers des personnages qui sont très proches du pathétique. On a beau se raconter des histoires, on est tous pathétiques !Est-ce que dans le cinéma français des années soixante-dix, vous vous sentiez des affinités avec Pascal Thomas ou Bertrand Blier ? Une envie commune de faire un cinéma populaire et personnel ?
Non. Je ne connais pas bien l’œuvre de Pascal Thomas, j’ai vu un film ou deux de lui.
Par contre, j’aime beaucoup les films de Bertrand ; il a un coup de patte très dur pour ses personnages, mais c’est la seule chose que je vois en commun. Je me sens toujours plus proche du cinéma italien.Vous préparez donc un nouveau film, ce sera votre grand retour sur grand écran.
Il reste encore un peu d’argent à trouver. Sylvie Testud jouera dedans…Qu’est-ce qui vous a éloigné du cinéma si longtemps ?
Personne ne m’a laissé faire des films (rire) ! J’ai quinze scénarios écrits totalement, histoire, dialogues… Pendant toutes ces années, j’ai essayé de faire des films, et je n’ai pas pu. Parce que je n’ai pas trouvé les producteurs adéquats.
Maintenant on me dit que je suis un cinéaste culte, mais bon… Le problème, c’est de trouver le bon producteur, qui ne vous raconte pas d’histoire et qui se bat pour faire des films avec vous…C’est ce qui s’est passé avec Pascal Thomas justement…
Mais il y a des centaines de réalisateurs qui sont dans ce cas-là ! C’est devenu très dur de faire du cinéma. J’en parle dans mon prochain livre, qui s’appelle Que viva cinéma !Vous avez conservé une relation d’amitié avec Jean-Pierre Marielle ?
Bien sûr, je l’ai vu il y a quinze jours encore. Je lui ai proposé un rôle dans mon prochain film.

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