article partenaire
Quand on arrive en livre !

Dans les annales

Théâtre / Par-dessus bord de Michel Vinaver est monté au Théâtre National Populaire de Villeurbanne dans son intégralité et pour la première fois en France. Retour sur une œuvre hors de toute mesure. Dorotée Aznar

Une trentaine de comédiens sur le plateau, des musiciens en direct, près de six heures de spectacle, Christian Schiaretti a décidé de créer l'événement avant la fermeture du Théâtre National Populaire pour travaux. En mars 1973, Roger Planchon avait créé Par-dessus bord au TNP, dans une version courte. Trente-cinq ans plus tard, l'actuel directeur du théâtre monte la pièce dans sa version intégrale, pour la première fois en France. L'œuvre est colossale, le projet démesuré, la réussite totale. Christian Schiaretti livre une copie parfaite, une plongée délurée et magistralement interprétée dans l'univers de Vinaver, l'un des plus grands auteurs de théâtre français vivants.Un monde de douceur
Début de la pièce. Nous sommes à la fin des années 60. Rivoire et Dehaze est une entreprise familiale d'une cinquantaine d'employés, leader français sur le marché du papier toilette. Bientôt, l'arrivée d'un concurrent américain bouleverse la donne. À la mort du directeur, deux modèles économiques et idéologiques s'affrontent. La continuité prônée par Olivier, le fils légitime du défunt directeur et le changement, porté par Benoît, le fils illégitime. La victoire de Benoît signe le début de l'épopée capitaliste, de la reconquête du marché à tout prix. Les jeunes loups débarquent dans leurs costumes en velours reléguant au placard les anciens cadres de l'entreprise.Il faut désormais s'adapter ou se résoudre à mourir. Les montagnes de cartons gris laissent donc la place au mobilier design et coloré, les brainstormings remplacent les réunions et la ménagère de moins de cinquante ans devient une donnée économique. Ironie finale, Rivoire et Dehaze devient une filiale de la firme qu'elle réussit à détrôner. Ça c'est pour le cadre. L'histoire nous est comptée par Jean Passemar, un double assumé de l'auteur, cadre moyen employé par Rivoire et Dehaze qui partage son temps entre un travail relativement assommant et l'écriture d'une pièce de théâtre bien trop ambitieuse et coûteuse pour être portée à la scène. Capitalisme décomplexé
Avec Par-dessus bord, Michel Vinaver nous entraîne dans des histoires minuscules, des histoires témoins d'une France qui n'a pas encore connu la crise et ne parvient pas à se défaire de son antisémitisme latent. Les niveaux de lectures sont multiples, et la mythologie s'infiltre dans un théâtre qui se veut une reproduction fidèle de la réalité... Si l'écriture peut parfois être savante, Par-dessus bord n'en reste pas moins accessible à tous. On y parle de la mort, des femmes, des artistes, du papier toilette, du rapport à ses excréments, d'argent, de pouvoir, de destruction, de mariage, de frigidité ou de divorce. La question centrale peut-être résumée en quelques mots : le capitalisme est-il un bien ou un mal ? Mais il ne faut pas attendre de réponse franche. Ce qui frappe en effet, c'est le regard que pose l'auteur sur les bouleversements de son époque. Lui qui a mené en parallèle une carrière de dirigeant d'entreprise et d'écrivain assiste avec étonnement mais aussi avec amusement à ces changements. Il ne juge pas, il est un témoin féroce et drôle. Impossible en effet de garder son sérieux à l'arrivée des spécialistes du marketing et de la publicité dans l'entreprise, débattant avec passion sur le plaisir honteux de la défécation. Selon Olivier Balazuc qui incarne magistralement Jean Passemar dans la pièce : «aujourd'hui, si on écrivait une pièce sur le capitalisme et sur la voyoucratie, on aurait un regard beaucoup plus noir. Ici, on le sent bien, Vinaver n'a pas le regard d'un enfant de l'après choc pétrolier. Avec Par-dessus bord, nous en sommes aux premières expériences de capitalisme et pas encore aux conséquences». Superficiel et léger
C'est cette légèreté que Christain Schiaretti a souhaité conserver dans sa mise en scène, par ailleurs réglée aux cordeaux. La légèreté et même la trivialité (virant parfois au scato) cachent portant un propos terrifiant. Nul besoin d'actualiser artificiellement la pièce, l'écho des mots de Vinaver traverse sans peine l'étoffe des costumes des années 70. Le projet de Schiaretti est aussi démesuré que brillant, et même la 'performance' finale d'une Guesh Patti totalement à côté de la plaque et absolument ridicule ne saurait diminuer le plaisir d'accompagner cette troupe dans une expérience hors du temps.

à lire aussi

derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Musiques...

Mardi 28 mars 2023 Un nom douillet, une verve grivoise, crue, parfois joliment obscène : Doully — celle qui surnomme son public « ses p’tits culs » — passe deux fois en région ce mois-ci, nous voici ravis.
Lundi 10 octobre 2022 Le spectacle vivant est un des rares moment où l’on ne fait qu’une chose à la fois. Pour le public, du moins... Car Les Rois Vagabonds, eux, jonglent entre les disciplines durant plus d'une heure. Leur "Concerto pour deux clowns" est joué au Grand...
Lundi 5 septembre 2022 Impossible d’attaquer la saison 2022-23 sans regarder dans le rétroviseur de la saison précédente qui a permis de constater que les spectateurs ne sont pas tous revenus dans les salles et encore moins démultipliés face à l’offre exponentielle. De...
Mardi 26 avril 2022 Sur les planches ou au cinéma (Au poste, Problemos…), Marc Fraize est un artisan. Auteur, acteur, humoriste, clown tendre et jubilatoire, il porte le rire loin des standards et  de l’enchaînement de blagues surfant sur l’actualité. Son...
Mardi 12 avril 2022 Non labellisé Scènes Découvertes, mais enfin aidé par la Ville, le Théâtre de l’Uchronie, au cœur de la Guill’, défend depuis 2014 des récits imaginaires et oniriques. Les pieds beaucoup plus sur terre que satellisés.
Mardi 29 mars 2022 Dans un spectacle dérangeant et éblouissant, Alice Laloy renverse les codes du roman de Pinocchio et s’attache au moment de sa transformation. Un des grands spectacles du dernier Festival d’Avignon ; de surcroît accessible aux enfants.
Mardi 15 mars 2022 Après son premier one-man-show dans lequel le prince des potins, Tristan Lopin, nous comptait ses déboires amoureux, l’humoriste revient avec un seul en scène brut, décapant et authentique, le 1er avril, à la Bourse du Travail.
Mardi 15 mars 2022 Pas simple de restituer Pialat au théâtre tant il a éclaboussé le cinéma de son génie à diriger les acteurs. Dans ce spectacle énamouré adossé à À nos amours, Laurent Ziserman parvient à saisir l’infinie justesse qui émanait des films du...
Mardi 1 mars 2022 Avant de présenter Un Sacre aux Célestins en mai, Lorraine de Sagazan propose au Point du Jour une plus petite forme, La Vie invisible, conçue avec le même auteur Guillaume Poix. Où il est question de la perception d’une pièce par un malvoyant....

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X