L'homme, le médecin et le businessman

Commentaire / À propos de l'exposition anatomique de corps humains à la Sucrière, nous nous contenterons ici de poser quelques questions, de donner quelques pistes de réflexions, d'esquisser un point de vue éditorial. Jean-Emmanuel Denave

Il y a donc de véritables cadavres humains «plastinés» exposés à la Sucrière : écorchés de différentes manières et présentés sur des socles à l'air libre, disséqués sous tous les angles et dans un grand luxe de détails, découpés en tranches, évidés de leurs organes, pour, soit disant, nous en apprendre plus sur «notre corps» (Our body, titre de l'exposition), ses fonctions respiratoires, musculaires, digestives, etc.
Le point de vue est officiellement pédagogique, et il est de facto celui des anatomistes, des médecins, de la science mêlée à la plus haute technologie de conservation de la bidoche humaine (rien d'artistique ici)... Au-delà, ce show scientifique s'inscrit dans un contexte nébuleux et symptomatique d'une époque, la nôtre, un peu perdue parmi ses repères éthiques, partagée entre son credo aveugle pour la science et le sentiment plus sourd que le Docteur Folamour risque de nous montrer les choses par le petit bout du microscope. Ce contexte c'est d'abord la question de la provenance controversée des corps issus d'une Chine peu réputée pour sa passion des droits de l'homme, et, plus avant, celle de savoir si la nationalité des cadavres est si neutre que cela : le public réagirait-il de la même façon si les corps provenaient des monts du Lyonnais ? Et peut-on faire l'économie d'un parallèle avec les zoos humains de la fin du XIXe siècle, où l'ethnologie naissante présentait dans des cages ses «spécimens» venus d'Afrique ? Ouvrir le corps, fermer la pensée
Ce contexte c'est encore le refus des musées et des institutions publiques d'accueillir l'exposition (La Villette notamment, après un avis négatif rendu par le Comité consultatif national d'éthique). C'est enfin le fait symbolique que l'exposition soit produite par Pascal Bernardin, habituellement spécialisé dans l'organisation de gros concerts de variété et de rock (Police, Prince, Madonna...). Étrange rencontre entre la société du spectacle et l'exhibition didactique de nos entrailles qui aurait, pour le moins, exigé un encadrement plus «sérieux», collégial (pas seulement médical), public... Mais au fond, cette exposition n'est peut-être qu'un miroir supplémentaire d'une société réduite à l'exhibition scientifique de la viande humaine, au coup médiatique et au voyeurisme lucratif ? Coïncidence de l'actualité : les salles de cinéma projettent en ce moment le grand film de Desplechin, Un conte de Noël, qui interroge bien différemment et bien plus intelligemment notre rapport au corps, à la maladie, à la médecine, à la mort. On vous renverra donc, comme à un contrechamp possible, à la filmographie du cinéaste (très prolixe sur ces questions) ainsi qu'au petit livre de Pierre Legendre, La Fabrique de l'homme occidental, où l'on peut lire par exemple : «Un biologiste à la télévision sort d'un bocal le cœur humain et le montre à des millions de ses semblables. Sait-il qu'il assassine une métaphore ?».

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