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Martyrs

Révélé avec «Saint-Ange», Pascal Laugier passe une vitesse dans ce film extrême, radical, d’une violence permanente, soulevant beaucoup de questions sans forcément apporter de réponses. Christophe Chabert

Image granuleuse, caméra portée, décor de zone industrielle rouillée, petite fille à moitié nue, ensanglantée, hurlant de douleur : dès ses premières images, Martyrs signifie au spectateur son envie de ne pas le laisser en paix, de le malmener jusqu’à la nausée, provoquant une sensation de malaise que le reste du film se charge d’intensifier. Lucie, dix ans, a été torturée pendant de longues journées avant d’échapper à ses geôliers. Soignée dans un hôpital spécialisé, elle se lie d’amitié avec Anna. 15 ans plus tard, elle débarque dans une famille de bons bourgeois et les massacre à la chevrotine, persuadée d’avoir retrouvé ses bourreaux. Pendant qu’Anna essaye d’effacer le crime, Lucie sombre dans la psychose — elle croit être attaquée par un monstre qui la mutile — pendant qu’Anna doute de la santé mentale de cette amie dont elle ferait bien une amante. On a vu récemment des cinéastes de genre français faire un film entier avec un tel huis clos (le tout pourri À l’intérieur, le médiocre Haute tension). Pascal Laugier, qui avait déjà démontré avec Saint-Ange des ambitions et une maîtrise très au-dessus de ses homologues hexagonaux, n’en fait que le premier acte d’une œuvre qui brille par ses nombreux et surprenants renversements scénaristiques.Saint-Sulpice
Martyrs affirme, à rebours de la tendance actuelle, son désir de réalisme absolu, sa quasi-neutralité vis-à-vis des séquences éprouvantes face auxquelles le spectateur est prié d’oublier ses a priori moraux. Adieu Cinémascope et photo chiadée, mouvements de caméra sophistiqués et décors gothiques : Martyrs invente un quotidien bien peu fascinant dans lequel la violence n’est qu’une routine, et les bourreaux des fonctionnaires de la torture — Laugier semble marquer par le souvenir du nazisme, déjà présent dans Saint-Ange, qu’il évoque sans pour autant le réfléchir. La dernière partie du film, la plus saisissante mais aussi la plus contestable, n’est qu’une longue suite d’actes sadiques (sadiens ?) sans dialogue et sans pathos, totalement dédramatisés. C’est réussi : on y croit, loin du grand-guignol habituel des productions gores d’ici (le super pourri Frontières) ou d’ailleurs (Hostel, auquel on pense beaucoup). Mais quand Laugier fournit des explications au drame, Martyrs trouve ses limites : difficile de savoir où cette recherche extrême de la pulsion de mort veut nous conduire. Surtout, Laugier paraît synchrone avec la quête métaphysique de ses méchants : s’approcher au plus près de la douleur physique et mentale, la retranscrire comme une expérience limite, par-delà bien et mal. C’est ce qui rend Martyrs si cohérent. C’est aussi, malgré tout, ce qui le rend ambigu : Laugier, à trop vouloir regarder la mort, en oublie totalement la vie (pourtant sublimement portée dans le film par Morjana Alaoui et Mylène Jampanoï).Martyrs
de Pascal Laugier (Fr-Canada, 1h40)
avec Mylène Jampanoï, Morjana Alaoui…

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