Dans le décor

Les meilleurs films du moment ont tous un point commun : ils font de leur décor un personnage à part entière de leur récit et de leurs enjeux.Christophe Chabert

Tout est parti d'un petit film d'horreur mal sorti sur les écrans... Les Ruines de Jonathan Tucker dit dès son titre que ce qu'il faut regarder, ce ne sont pas ses personnages (des teenagers en plein spring break au Mexique) mais bien son décor : un temple inca où pousse une plante maléfique ... Dans cette série B joliment exécutée, l'horreur surgit d'une alliance entre le minéral et le végétal et conduit à des visions étonnantes où l'humain est progressivement absorbé par le paysage. Huis clos à l'air libre, Les Ruines renouvelle le genre par une approche inédite de son environnement — ce que Shyamalan a loupé dans son bancal Phénomènes. Depuis, plus une semaine sans qu'un film important ne fasse de son décor un personnage à part entière, sinon la matière même de son récit. Prenez Gomorra de Mateo Garrone : ce film didactique ne nous apprend rien que l'on ne sache déjà sur la Camorra. Mais en filmant ces évidences dans des décors d'une tristesse absolue (une cité décrépie, une plage pourrie), il tue dans l'œuf tout romantisme, créant une distance immédiate avec les rêves «grandioses» de ses malfrats. Pareil pour Christopher Nolan dans The Dark Knight : plus que dans Batman Begins, le cinéaste répète à chaque plan un tonitruant «Ceci n'est pas Gotham City». D'ailleurs, il suffit de sortir de Gotham pour se retrouver non dans une quelconque ville inventée, mais à... Hong-Kong ! Ultime pichenette pour dissiper l'ambiguïté : le jour s'est levé sur cette mégalopole, loin des ambiances nocturnes de Tim Burton... Le décor dans The Dark knight est un des enjeux de ce film au présent, interrogeant l'actualité plutôt qu'un futur auquel il ne semble plus croire vraiment. Le dernier homme à l'horizon À l'inverse, Wall-E d'Andrew Stanton affirme que le pire est encore à venir, et ce dès l'ouverture du film : la vision brutale d'une planète-poubelle méticuleusement ordonnée par le «dernier homme», un robot ouvrier. Le décor initial de Wall-E le résume tout entier et c'est quand il change de cadre que le film s'essouffle : la station spatiale est un non espace où l'humanité peine à exister hors d'une satire attendue et d'une morale contestable. La Possibilité d'une île, le beau film (si !) de Houellebecq, est aussi une histoire de dernier homme. Et cette histoire n'est racontée qu'à partir de son environnement (là encore, le titre le dit !) : hangar désaffecté de zone commerciale (les faux prophètes sur les ruines du consumérisme), hôtel de luxe en bord de mer (le triomphe pathétique de la société du loisir), temple souterrain préparant l'avènement du clone (la science inconsciente et clandestine), et enfin retour à une nature sauvage où tout peut commencer (le néo-humain sans Dieu ni matérialité). Pas besoin d'en dire plus (le film en dit peu mais c'est déjà trop !) : les décors de ce poème contemplatif étrange et inspiré dessinent à eux seuls un horizon à cette fin d'année cinématographique.

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 6 mai 2024 Un conte mythologique imparfait mais à la direction artistique sans faille (Les 4 âmes du coyote), un coup d'essai étonnant à la fois solaire et orageux (Les trois fantastiques), et un film pas toujours évident à appréhender, mais souvent fascinant...
Mardi 31 octobre 2023 Le festival Lumière vient de refermer ses lourds rideaux, les vacances de la Toussaint lui ont succédé… Mais ce n’est pas pour autant que les équipes de (...)
Mardi 31 octobre 2023 Si le tourisme en pays caladois tend à augmenter à l’approche du troisième jeudi de novembre, il ne faudrait pas réduire le secteur à sa culture du pampre : depuis bientôt trois décennies, Villefranche célèbre aussi en beauté le cinéma francophone....
Mardi 5 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or Anatomie d’une chute et sans doute favorisé par la grève affectant...
Mardi 29 août 2023 Et voilà quatre films qui sortent cette semaine parmi une quinzaine : N° 10, La Beauté du geste, Alam puis Banel & Adama. Suivez le guide !
Lundi 5 septembre 2022 Bien qu’il atteigne cette année l’âge de raison avec sa 7e édition, le Festival du film jeune de Lyon demeure fidèle à sa mission en programmant l’émergence des (...)
Mercredi 17 août 2022 Et si Forrest Gump portait un turban et dégustait des golgappas plutôt que des chocolats ? L’idée est audacieuse mais aurait mérité que le réalisateur indien de Laal Singh Chaddha se l’approprie davantage. Si l’intrigue réserve forcement peu de...
Mercredi 11 mai 2022 Alors que son film posthume Plus que jamais réalisé par Emily Atef sera présenté dans la section Un certain regard du 75e festival de Cannes, l’Aquarium (...)
Vendredi 13 mai 2022 Fruit du travail de bénédictin d’un homme seul durant sept années,  Junk Head décrit en stop-motion un futur post-apocalyptique où l’humanité aurait atteint l’immortalité mais perdu le sens (et l’essence) de la vie. Un conte de science-fiction avec...
Mardi 26 avril 2022 Les organisateurs d’On vous ment ont de le sens de l’humour (ou de l’à propos) puisqu’ils ont calé la septième édition de leur festival pile entre la présidentielle et les législatives. Une manière de nous rappeler qu’il ne faut pas tout...
Mardi 26 avril 2022 Orfèvre dans l’art de saisir des ambiances et des climats humains, Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été, Amanda…) en restitue ici simultanément deux profondément singuliers : l’univers de la radio la nuit et l’air du temps des années 1980. Une...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X