Retour en avant

Disques / Beaucoup de filles, un mort et quelques rescapés des époques précédentes au menu d’une rentrée discographique réservée à ceux qui croient encore en l’avenir du format album. CC

Est-ce lié aux quartiers conjugaux de Carla à l’Élysée — et, incidemment, à son entrée dans les bacs à soldes chez Cash Converters ? Toujours est-il les filles prennent définitivement le pouvoir en cette rentrée musicale. En plus de l’album étonnant de Mélissa Laveaux (lire article «world»), c’est du côté d’Emiliana Torrini que la surprise est venue. Auteur d’albums aux sonorités trip-hop un peu passe-partout, l’Islandaise a cassé cet écrin dans l’air du temps et revient avec un disque beaucoup plus organique et intemporel, au service de sa voix et de ses chansons. Entre folk céleste, rock caverneux et reggae naïf, Me and Armini (Rough Trade/Beggars) peut être vu comme une réponse indé aux chanteuses mainstream comme Lilly Allen ou KT «Ouh ! Ouh !» Tunstall ; à cette différence près qu’Emiliana Torrini a ce don pour explorer des contrées sonores nettement plus étranges, sauvages et belles. Alors qu’on attendait le dernier Calexico, son leader Joey Burns se distingue en cette rentrée en composant et produisant le premier album d’une chanteuse française, Marianne Dissard. L’Entredeux (Groove Attack/Discograph) est une curiosité, plutôt bien torchée musicalement, moissonnant des terres déjà empruntées par Barbara Carlotti ou Jeanne Balibar, c’est-à-dire des textes à la naïveté revendiquée chantés d’une voix fragile et parcourus de références cinématographiques. Mais cette école post-Françoise Hardy se cherche encore une chef de file… Enfin, pour finir ce tour d’horizon féminin, il faut rappeler que le troisième album de Leila, Blood Looms and Blooms (Warp/Discograph), sorti en juillet, est toujours dans les bacs. Cette Iranienne installée à Londres continue son travail tout en noirceur sur les distorsions électroniques, mais cette fois, elle semble lui donner la chair qu’il mérite grâce à une distribution vocale aussi éclectique que brillante : sa sœur Roya Arab, le fidèle Luca Santucci, une Martina Topley Bird à la hauteur de ses exploits chez Tricky et surtout l’excellent Terry Hall, rescapé des mythiques Specials. Grand disque de 2008, à classer juste derrière le Portishead… Le faucon et l’agneau La disparition prématurée d’Esbjorn Svensson a été un des chocs tragiques de l’été. Ce pianiste avait fait souffler, avec son trio E.S.T., un vent de nouveauté dans le jazz, provoquant le respect des amateurs du genre autant que des fans d’électro. Il a achevé, juste avant de disparaître dans un accident de plongée, un album formidable, alternant morceaux classiques et grandes envolées expérimentales ; une des perles de cette rentrée discographique. Il y a beaucoup de points communs entre ce Leucocyte (ECM) et The Hawk is howling (Wall of sound/PIAS), le nouveau Mogwai, un groupe dont la longévité commence à être vraiment remarquable en ces temps de rockers kleenex… On a souvent dit que tous leurs disques se ressemblaient, et que leur curseur était bloqué en mode rock instrumental bruitiste (donc quelque part à la fin des années 90). C’est vrai, et The Hawk is howling le démontre encore : le style Mogwai se répète, fidèle à lui-même et étanche aux modes. Mais, faute de mieux peut-être, ces neuf chansons au long cours, impeccablement composées, sont ce qu’on a entendu de plus abouti en cette rentrée. Un qui ne connaît pas les modes non plus, c’est Kurt Wagner, le leader de Lambchop : depuis Is a woman, sa musique semble dériver sur un océan inconnu, totalement sourde à l’agitation du monde. OH (Ohio) (City Slang/Coopérative music) le confirme. Grand disque automnal murmuré autant que chanté par Wagner, dont la voix évoque celle d’un vieillard reclus, il est traversé de moments suspendus, comme ce Close up, chanson mélancolique sur le temps qui passe ; le My Way de Lambchop. Grosse déception en revanche du côté de TV on the radio, avec un Dear science (4AD/Beggars) poussif, qui ne possède même pas les instants de grâce de Return to cookie mountain, seulement ses balourdises et son maniérisme. La production du génial David Sitek pourrait sauver l’ensemble, mais pas de bol ! il avait éventé la recette en l’appliquant à l’album de Foals…Enfin, un mot, mais juste un seul, concernant la résurrection tardive de Brian Wilson, le génial Beach Boy silencieux depuis des lustres, qui sort de sa retraite avec That Lucky Old Sun : ratée ! Héros solitaires Il sera bien assez temps de reparler de quelques jeunots en forme proposant tous un nouveau disque en cette rentrée (The Streets, les Cold War Kids de San Francisco, ou encore The Spinto Band). Mais arrêtons-nous sur deux héros solitaires de cette rentrée : d’abord, James Yorkston qui œuvre depuis une demi-décennie dans une indifférence polie à créer des chansons folk à l’élégance remarquable, dans la lignée des premiers Scott Walker. Son nouvel album, When the haar rolls in (Domino/PIAS), en fait une éclatante démonstration : écriture magnifique, arrangements sublimes, spleen constant, c’est de la belle ouvrage. Quant à Joseph Arthur, on l’avait paumé pendant les années 2000 à cause d’une discographie labyrinthique et pleine de revirements (son dernier album, inédit en France, était simplement inaudible — ça sentait la fin de contrat !). Le voilà de retour avec un nouveau groupe, un nouveau label (le Français Fargo) et l’envie d’en découdre : Temporary people est sans doute son disque le plus rock, où sa voix patinée par les années tente des harmonies moins adroites mais du coup plus touchantes. Sans être son meilleur album (le titre semble réservé ad vitam à Redemption son), c’est sans doute celui qui devrait le remettre enfin en selle…

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