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Quatre-vingt minutes avec Jerzy

Jerzy Skolimowski, cinéaste, retrouve la caméra pour Quatre nuits avec Anna, une «comédie noire» qui marque son retour en Pologne après des années d’exil et de peinture en solitaire. Christophe Chabert

Lunettes noires et pardessus beige, carrure massive et calme olympien : Jerzy Skolimowski impressionne. Revient immédiatement en mémoire sa prestation en oncle russe dans Les Promesses de l’ombre, le film de David Cronenberg qui avait remis son nom sur la carte du cinéma contemporain. Car Skolimowski est un revenant. Cinéaste important de la nouvelle vague polonaise dans les années 60, auteur de films acclamés lors de son exil anglais, puis réalisateur embarqué dans des adaptations littéraires transformées en puddings européens, sa carrière s’arrête net en 1991 avec Ferdydurke, transposition ratée de l’univers de Gombrowicz. Dix-sept ans plus tard, voici Quatre nuits avec Anna, film singulier qui ressemble à un nouveau départ. Pendant cette absence, Skolimowski a exercé à plein temps sa passion de peintre. D’ailleurs, cette passion aurait pu être un métier si, au moment d’entrer à l’Académie des Beaux-Arts, il n’avait osé une plaisanterie que le système stalinien n’a guère goûté : Un des examens consistait à peindre un poster pour montrer à quel point il était formidable de vivre en Pologne, explique-t-il. J’avais au contraire fait une affiche pour dire à quel point cette politique était mauvaise. Officiellement, j’ai été recalé pour manque de talent !

«Skolimowski, inachevé»
Il sera donc cinéaste, remportant des distinctions dans les festivals internationaux (Ours d’or à Berlin, Prix de la mise en scène à Venise), incorporant le cercle des grands auteurs avant de se retrouver dans une situation inextricable : Je travaillais sur Eaux printanières et le producteur était ce type impossible, Angelo Rizzoli. C’était une grande figure de la société italienne, il avait produit Fellini. Mais il était dans sa pire période, il venait de sortir de prison pour divers trafics et il était plus gros qu’Orson Welles. Il avait fait rédiger de nombreuses versions du scénario et m’avait dit d’écrire la mienne en me demandant de compiler toutes les versions et d’en garder le meilleur. Mais il insistait pour que la fin du film soit la sienne. Le tournage ne s’est pas bien passé, j’avais des ennuis avec les très capricieux Nastassja Kinski et Timothy Hutton, avec Valeria Golino, qui était une jeune vedette montante. Je sentais le sol se dérober sous mes pieds. Un soir, je me suis retrouvé seul et j’ai peint un autoportrait ; comme je n’avais pas beaucoup de temps, j’ai juste fait une esquisse et j’ai écrit «Skolimowski, inachevé». Ils ont essayé de m’achever, mais non, j’ai survécu. Tout cela est raconté avec une ironie mordante que Skolimowski revendique : «J’ai un regard ironique sur le monde, et c’est bon de le partager avec le spectateur. Ce film, Quatre nuits avec Anna, c’est la libération de cette ironie.

«J’ai toujours voulu être un artiste unique»
Drôle et affable, le cinéaste explique ce qui lui a donné envie de revenir derrière la caméra : J’étais très insatisfait de mes derniers films, et je me suis dit que je m’étais égaré, qu’il fallait que je réfléchisse au type de films que j’avais envie de faire, et surtout faire en sorte que ce ne soit pas des films médiocres mais des œuvres uniques. J’ai toujours voulu être un artiste unique. Et je ne l’étais pas du tout sur ces derniers films ! Un tournage léger, en vidéo haute définition, avec peu d’acteurs et une équipe technique de confiance, lui a permis de concrétiser Quatre nuits avec Anna. Ce film est totalement libre, je suis responsable de tous les plans et de tous les sons. Même la manière dont les chiens aboient ! On sent que l’expérience parle toujours, mais surtout que le plaisir est revenu. Une des sources de ce plaisir est à chercher du côté de Cronenberg : Il travaille avec beaucoup de tranquillité, sans jamais élever la voix, sans avoir besoin d’insister sur les choses car il s’entoure toujours de la même équipe. Si David peut arriver à une ambiance paisible sur un tournage si lourd, je dois être capable d’y arriver aussi. Et le personnage ? Le personnage était bien, mais j’ai une si grande familiarité avec ce genre de rôles que cela m’a rapporté l’argent le plus facilement gagné de toute ma vie ! Séduit par le charisme de ce cinéaste revenu de nulle part, on ne rêve plus que d’une chose : découvrir son œuvre, grande oubliée des cinémathèques et de l’édition DVD.

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