Libérés de l'oubli

Expo / Entre 1940 et 1945, plus d’un million et demi de soldats français sont détenus en Allemagne… Un phénomène de masse largement oublié sur lequel revient l’exposition, claire et bien faite, du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (CHRD) Jean-Emmanuel Denave

Au début de l’exposition du CHRD, on découvre une carte du Reich nazi littéralement recouverte de camps de prisonniers militaires de toutes nationalités : Stalags pour les soldats de troupe et Oflags pour les officiers, sans compter plusieurs camps de représailles en Pologne destinés aux troupes soviétiques et aux évadés. En France, après la défaite de 1940, 1 800 000 soldats sont faits prisonniers sur le territoire national et 1 600 000 d’entre eux sont ensuite envoyés dans des camps outre-Rhin (pendant toute la durée de la guerre pour la plupart d’entre eux). Ils ont entre 20 et 60 ans, sont issus de toutes les classes sociales et la moitié sont mariés. «Il s’agit, précise Isabelle Doré-Rivé directrice du CHRD, d’un véritable phénomène de masse. Cette exposition est un regard français sur la guerre du côté allemand». Elle est aussi et surtout un regard porté sur un phénomène historique escamoté, voire refoulé. Pourquoi ? D’abord, parce que la question des prisonniers de guerre fut pour Vichy l’un des enjeux de sa politique de collaboration avec l’Allemagne nazie (aux côtés de l’intégrité des colonies françaises, de la ligne de démarcation, de l’Alsace-Lorraine...) et un objet fort de propagande. Le 16 novembre 1940, Vichy se substitue à la puissance neutre (les États-Unis) censée faire appliquer les Conventions de Genève et envoie à Berlin un service diplomatique chargé du sort des prisonniers avec pour «ambassadeur» Georges Scapini. Les rares libérations obtenues par Vichy (220 000) sont «instrumentalisées» comme autant de résultats positifs de sa politique collaborationniste. De même la «Relève» à partir de 1942 (un prisonnier échangé contre trois ouvriers) et bientôt, en 1943, le Service du Travail Obligatoire (STO)… Retour du refoulé
Cette collusion nuira durablement à l’image des prisonniers de guerre français. Mais leur oubli historique s’explique, ensuite, par un certain relativisme face à l’horreur : La Shoah, la déportation des résistants et le STO ont occulté la captivité plus «banale» des militaires. L’exposition sobre et didactique du CHRD s’efforce de jeter un peu de lumière sur le sort de ces prisonniers relégués dans les oubliettes de l’histoire. Elle alterne la description de grandes thématiques générales (la vie quotidienne, les activités culturelles dans les camps, les problèmes administratifs, les échanges postaux avec la famille, la vie éprouvante des 800 000 épouses esseulées…) avec la présentation de plusieurs cas individuels sous forme d’émouvants témoignages audio ou audiovisuels. On y découvre nombre de documents d’époque : lettres, papiers d’identités, photographies (dont cinq images de Willy Ronis sur le retour des prisonniers), objets (comme ces jouets confectionnés par un officier pour ses enfants), et même un film clandestin réalisé par sept officiers «sous le manteau» début 1944 !Soldats anonymes
En parcourant l’exposition, plusieurs faits marquants sautent aux yeux… Un sort relativement clément est accordé aux prisonniers de guerre : les Conventions de Genève sont globalement respectées (quoique les choses se dégradent au fur et à mesure de la guerre) et préserveront paradoxalement les militaires juifs de la déportation. Les soldats nouent avec le temps des relations avec la population civile allemande : 95% d’entre eux travaillent («commandos de travail») dans des fermes, des usines, des mines ou autres (ce qui n’est pas un fait de collaboration mais un droit prévu par les Conventions de Genève). Parfois, ils lient des «relations plus avancées avec les femmes allemandes» comme le dit joliment un témoin. Les prisonniers résistent aussi en écoutant la BBC, en imprimant des journaux clandestins, en sabotant des trains, et, surtout, en tentant de s’évader : un sur deux s’y essayera, mais 70 000 seulement réussiront. Enfin, le retour des prisonniers en 1945 fut particulièrement laborieux et confus, et ces derniers furent accueillis assez froidement... On gardera encore à l’esprit cette série de portraits réalisés par Jean Billon au Stalag 8C en 1941 : des visages anonymes aux faciès marqués, et aux regards à la fois durs et absents. Une sorte de silence les enveloppe : cette exposition le rompt en mettant quelques mots et documents sur ces cinq années d’existences biffées de nos mémoires.Prisonniers de guerre
Au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation jusqu’au 15 mars.À voir aussi au CHRD jusqu’au 14 décembre : l’exposition d’Emmanuel Berry Paysages à l’entour (chronique à lire sur notre site http://www.petit-bulletin.fr).

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