L'éthique Rahimi

Livre / Le Prix Goncourt 2008 a été attribué à l’écrivain et réalisateur afghan Atiq Rahimi pour Syngué Sabour (P.O.L), son premier roman écrit en français. Une très bonne nouvelle… Yann Nicol

Avec notre mauvaise foi légendaire, on serait prêt à beaucoup de choses pour ne pas admettre que le Goncourt 2008 est un cru exceptionnel. On pourrait par exemple dire que P.O.L appartient à Gallimard et qu’il ne s’agit donc pas réellement d’une première pour l’éditeur. On pourrait aussi dire que l’écrivain d’origine afghane Atiq Rahimi, par ailleurs réalisateur, n’est pas un nouveau venu. Ou que son livre a bénéficié de l’actualité brûlante qui entoure l’Afghanistan et cette région du monde en ce début de XXIe siècle. Mais tout cela serait malhonnête. Car nous sommes pour une fois profondément heureux de pouvoir écrire que la vénérable Académie (véritable machine à vendre des livres) a cette année attribué son prix à un écrivain exigeant et peu connu, ayant publié un très grand roman chez un excellent éditeur qui n’avait pourtant jamais reçu cette distinction. Découvert en 2000 avec la parution d’un livre qui fut un véritable choc pour les lecteurs français, Terre et Cendres, Atiq Rahimi est né à Kaboul en 1962. Un peu plus de vingt ans plus tard, il quitte son pays d’origine, direction le Pakistan, puis la France où il s’exile alors et où il vit encore aujourd’hui. Cette fuite, il en rend compte dans son deuxième livre, Les Mille Maisons du rêve et de la terreur, en contant sa marche vers l’ambassade de France d’Islamabad, le cœur gros et les poches vides. C’est un temps où, comme pour Terre et cendres (qu’il adaptera ensuite au cinéma), Atiq Rahimi écrit en persan, sa langue maternelle. Une langue qu’il a choisi d’abandonner, au profit du français, pour écrire son troisième roman, Syngué Sabour, un livre dans lequel on retrouve malgré tout ce qui faisait la force de ses romans précédents, et notamment cette écriture sèche et dépouillé, à la fois brutale et poétique qui dit la colère et la révolte face à la violence des hommes, la souffrance des femmes et la négation de l’enfance. Pierre précieuse
Le passage au français n’est pas le seul des filtres qu’Atiq Rahimi a mis en place dans l’écriture de ce roman. Car en plus de changer de langue, il a aussi symboliquement changé de sexe en se glissant dans la peau (et la voix) d’une femme afghane. Deux manières de se détacher des tabous qui font de Syngué Sabour un livre profondément courageux et engagé. Dans la tradition orientale, Syngué sabour (qui signifie pierre de patience), est une pierre magique à qui l’on confie sa détresse et ses souffrances afin de s’en libérer. Se confier est précisément ce que fait l’héroïne de ce roman, qui va petit à petit se libérer des jougs sociaux, religieux, culturels et familiaux en racontant son histoire à celui qui est symboliquement devenu sa pierre de patience, c'est-à-dire son mari. Plongé dans un coma profond après avoir reçu une balle dans la nuque, ce dernier végète dans une chambre. Au fil des jours, son épouse abandonne les prières ordonnées par l’Imam au profit d’une longue confession durant laquelle elle revient sur une existence entière placée sous le signe de la privation, de l’humiliation et de la souffrance. En parlant de front de la cruelle bêtise de la guerre, du goût des hommes pour le pouvoir et l’honneur, de la lâcheté des religieux, de l’asservissement des femmes, mais aussi de leur sexualité et de leurs fantasmes, Atiq Rahimi dérangera forcément. En mettant en place un dispositif romanesque fondé sur l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur, le huis clos de la chambre et la guerre alentour, les enjeux de l’histoire et ceux de l’intimité, le monde de la parole et celui du silence, il montre aussi avec une sensibilité saisissante la fatalité de ceux dont la vie est réduite à néant par l’histoire. Un grand livre, assurément, dont les ventes vont être multipliées par dix (au moins) grâce à ce prix. Quand on vous dit que c’est une bonne nouvelle !Images de l’exilé
C’est en 2002, peu de temps après la chute du régime Taliban, qu’Atiq Rahimi retourne en Afghanistan pour la première fois après plus de vingt ans d’absence. Il y découvre alors un pays en ruine, une terre de désolation et de souffrance. Une expérience dont il témoigne dans un livre, intitulé Le Retour imaginaire mêlant des textes et des photographies qu’il a lui-même réalisées avec un vieil appareil à trépied. Des clichés en noir et blanc, souvent troubles, comme le sont les lieux et les silhouettes qui les traversent, accompagnées d’un texte qui dit les douleurs et la mélancolie de l’exilé, entre souvenirs douloureux et présent chaotique.

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