Jojo à tout prix

En plus de trente ans de carrière et une discographie pléthorique, Jonathan Richman est devenu un mythe chez les amateurs de rock, imposant un style décontracté et une discrète nature de showman déjanté. Il sera en concert au Transbordeur cette semaine. Christophe Chabert

Vous ne connaissez pas Jonathan Richman ? Mais si, vous le connaissez… Rappelez-vous : au début de Mary à tout prix, le film qui imposa les frères Farelly sur la carte du comique trash, un grand gars chantait guitare en main et batteur à ses côtés : «There’s just something about Mary». Il reviendra deux fois dans le film, chœur moderne de cette comédie romantique liftée aux semences vitales. Pour beaucoup, ce fut une découverte sans suite ; pour d’autres, moins nombreux, la réapparition spectaculaire d’une légende du rock’n’roll. Réapparition ? En fait, Richman n’avait jamais quitté la scène, et continuait de tourner avec son fidèle Tommy Larkins à la batterie, sortant à intervalles réguliers des disques sur des labels obscurs. Mais Richman était surtout, dans la mémoire des mélomanes, le leader des Modern lovers, auteurs d’un album culte en 1976.

Amant moderne

En 1972, le tout jeune Jonathan est sous l’influence de son groupe préféré : le Velvet Underground. Alors qu’il bricole des démos avec son groupe, dont fait partie le futur organiste des Talking Heads Jerry Harrison, il confie à son idole John Cale le soin de produire leur premier album. Le disque ne sortira que quatre ans plus tard, après une dispute homérique avec la Warner ; il jouit pourtant d’une aura immédiate, imposant un punk-rock doux aux textes excentriques. Richman écrit ainsi une chanson en hommage aux «roadrunners», ces chauffeurs de camions pendant les tournées, une autre où il s’exclame que «Pablo Picasso ne s’est jamais fait traiter de connard quand il marchait dans les rues». Ou encore, sur I’m straight, il se lamente, amant propre sur lui éconduit au profit de «hippie Johnny» ! Cet humour déjanté sera, en définitive, le seul rescapé de cet opus initial dans les disques suivants. Car dès Jonathan Richman and the modern lovers, qui sort dans la foulée, puis Rock’n’roll with the modern lovers (1978), au titre trompeur, tout a changé : presque plus d’électricité, un côté rockabilly nostalgique, et même un mythique «reggae égyptien» acoustique. Quant aux Modern lovers du départ, ils ont tous été remplacés par d’autres musiciens ! Comme s’il se livrait à un autodafé concernant ses enthousiasmes de jeunesse, Richman jette au feu Velvet et rock attitude. C’est dorénavant en homme libre et fantasque qu’il va officier dans les marges de la musique populaire.

Homme libre

Back in your life (1979), quatrième album officiel, est un nouveau chef-d’œuvre : des morceaux comme Abdul and Cleopatra, Buzz buzz buzz (une chanson à la ritournelle enfantine, un des dadas de Jojo, son surnom officiel) et Back in your life sont parmi les meilleurs de son répertoire. Ça continue en 1983 avec Jonathan sings, où l’on peut entendre un des hymnes de ralliement de son fan-club : That summer feeling. Richman y développe sa veine romantique et langoureuse, celle qu’on retrouvera dans Mary à tout prix et qui sera le sel de sa carrière «solo» à partir de 1989. Plus rien ne semble alors brider son inspiration déchaînée et turbulente : il se met à chanter dans toutes les langues (français, espagnol, italien…), raconte des histoires complètement tordues (I was dancing in a lesbian bar, repris en chœur par l’assistance pendant ses concerts), enregistre un album country… Le succès mondial de Mary à tout prix aurait dû relancer sa carrière ; à l’époque, il enregistre chez ses ennemis d’hier, Warner, un album ambitieux produit par Ric Ocazek, qui avait fait des merveilles sur l’album bleu de Weezer. Mais ses arrangements synthétiques se marient mal avec la simplicité des chansons, et le disque est objectivement raté. Richman retourne donc à l’indépendance et, surtout, à la scène. Car il faut l’avoir vu en live pour comprendre l’affection éprouvée pour ce spécimen bizarre. Avec son batteur et deux micros montés sur un même pied, Jojo enchaîne sans blancs tubes d’hier et d’aujourd’hui (dont un où il explique son refus d’avoir un téléphone portable !). Mais comme Richman ne tient pas en place, il se retrouve souvent à jouer sans amplification, se laissant aller à une danse aussi irrésistible qu’inimitable. On se dit alors que Jonathan Richman est une sorte de Dutronc américain, un fou chantant qui transpire la musique par tous les pores. Pas un affreux jojo, mais un immense Jojo !

Jonathan Richman
Au Transbordeur, lundi 16 mars
«Because her beauty is raw and wild» (Munster/Differ-ant)

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