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Vie des hommes infâmes

Livres / Avec D’autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère poursuit un «feuilleton de soi» en forme de poupées russes, où les récits s’imbriquent les uns dans les autres en changeant de média et de format. Mais ce tour de lui-même devient ici un pas de géant vers l’autre. Christophe Chabert

En dix ans, Emmanuel Carrère est devenu un des plus grands écrivains français. C’est d’autant plus étonnant que durant cette période, ses ouvrages se sont éloignés de l’obsession littéraire pour fureter entre le journalisme, le récit de soi et la partie écrite d’un grand récit multi-supports. D’autres vies que la mienne, fulgurant nouveau livre, poursuit ce feuilleton dont Carrère est le héros torturé, commencé avec L’Adversaire, puis poursuivi au cinéma avec Retour à Kotelnitch et enfin à travers ce sublime et terrible texte qu’était Un roman russe. Carrère y romance encore sa vie, œuvrant en scénariste traçant des perspectives dans son existence, ou en monteur quand il choisit de coller dans le même récit un tsunami au Sri-Lanka et la mort de sa belle-sœur. Cette manière d’intercaler des événements publics (le tournage puis la sortie de son premier long-métrage de fiction, La Moustache) avec leur décorum privé, de superposer vie artistique et vie intime, relève chez l’auteur d’un voyeurisme trompeur. À la manière d’un Chabrol, il nous force à regarder un événement pour mieux nous intéresser ensuite à celui qui, en apparence anecdotique, est en fait le véritable enjeu du récit.L’écrivain et le juge boiteux
S’il y a donc «D’autres vies» (celles de deux juges boiteux du tribunal d’instance de Vienne traitant les cas de surendettement), il y a aussi «La mienne», et Carrère reste le référent de ces histoires vraies, plus effacé qu’à l’ordinaire cependant. Mais la vraie différence avec les livres précédents, où l’auteur faisait l’expérience douloureuse de la revanche du réel sur celui qui avait cherché à le manipuler (un assassin mythomane, un romancier obsédé par l’idée de créer de la fiction avec l’ordinaire de sa vie), c’est qu’il contemple ici avec une douceur nouvelle la cruauté du monde et ceux qui se battent pour la bousculer. Au passage, le livre rappelle que la différence entre droite et gauche n’est pas tant celle d’un bulletin de vote dans l’isoloir que d’une interprétation concrète des lois, une façon de s’inscrire clairement du côté des faibles ou du côté des puissants. La réalité de ces gens de l’ombre qui ont décidé de donner un sens à leur passage sur terre remet l’écrivain à sa juste place, celle d’un passeur de vies «infâmes» au sens strict du terme : loin de la gloire et des honneurs. Emmanuel Carrère
À la libraire Passages, mercredi 25 mars
«D’autres vies que la mienne» (POL)

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