Livres / Avec D'autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère poursuit un «feuilleton de soi» en forme de poupées russes, où les récits s'imbriquent les uns dans les autres en changeant de média et de format. Mais ce tour de lui-même devient ici un pas de géant vers l'autre.Christophe Chabert
S'il y a donc «D'autres vies» (celles de deux juges boiteux du tribunal d'instance de Vienne traitant les cas de surendettement), il y a aussi «La mienne», et Carrère reste le référent de ces histoires vraies, plus effacé qu'à l'ordinaire cependant. Mais la vraie différence avec les livres précédents, où l'auteur faisait l'expérience douloureuse de la revanche du réel sur celui qui avait cherché à le manipuler (un assassin mythomane, un romancier obsédé par l'idée de créer de la fiction avec l'ordinaire de sa vie), c'est qu'il contemple ici avec une douceur nouvelle la cruauté du monde et ceux qui se battent pour la bousculer. Au passage, le livre rappelle que la différence entre droite et gauche n'est pas tant celle d'un bulletin de vote dans l'isoloir que d'une interprétation concrète des lois, une façon de s'inscrire clairement du côté des faibles ou du côté des puissants. La réalité de ces gens de l'ombre qui ont décidé de donner un sens à leur passage sur terre remet l'écrivain à sa juste place, celle d'un passeur de vies «infâmes» au sens strict du terme : loin de la gloire et des honneurs. Emmanuel Carrère
À la libraire Passages, mercredi 25 mars
«D'autres vies que la mienne» (POL)