Star Trek

Aux origines du space opera et dans un effort pour le transformer en blockbuster d’action juvénile, JJ Abrams signe un film habile jusque dans ses défauts. Christophe Chabert

Il est plutôt amusant de constater que JJ Abrams, qui aura marqué les esprits par l’invention de deux séries télé ayant contribué à un nouvel âge d’or du genre (Alias et Lost), soit obligé d’aller gagner ses lettres de noblesse sur le grand écran en remettant sur les rails une franchise venue de l’âge d’or précédent, le Star Trek des années 60. Plus bizarre encore, ce statut de «créateur» dont il jouissait quand il officiait sur les networks américains n’est plus qu’une simple casquette de «réalisateur» maintenant qu’il œuvre à Hollywood. Dans l’imaginaire des professionnels U.S., si la télévision est devenue une sorte de première division, le cinéma reste définitivement la champions league ; mais dans le cas d’Abrams, on a le sentiment que le meilleur buteur du championnat y est réduit au statut de distributeur au milieu du terrain, pouvant à l’occasion faire une passe décisive !

Griserie rock

Pourquoi parler football alors que c’est de Star Trek dont il est question ici ? Parce que le film lui-même ressemble sans arrêt à une partie de ballon rond, s’appuyant sur la jeunesse de personnages mythiques pour transformer un space opera culte reposant sur de complexes considérations philosophiques et humanistes en blockbuster alternant furieux combats galactiques, suspens sidéral et comédie adolescente. Le prologue montre le sacrifice du capitaine Kirk pour sauver sa femme enceinte, menacée par la fureur d’un prince Romulien destiné à se venger d’un Vulcain nommé Spock. La principale qualité de ce Star Trek est posée : son habileté à revenir aux sources de la série initiale tout en construisant méticuleusement sa propre mythologie. Le scénario trouve d’ailleurs son point de bascule en réunissant à l’écran, par la grâce d’un paradoxe temporel, les deux Spock, celui des années soixante (Leonard Nimoy) et celui de 2009 (Zachary Quinto, échappé d’une autre série marquante, Heroes), en un passage de relais symbolique mais surtout décisif. La séquence où Kirk junior vole une voiture et se lance dans une course-poursuite se terminant au bord d’un précipice vertigineux, le tout sur fond de Beastie Boys, place l’horizon de cette nouvelle adaptation : une griserie rock saupoudrée en cours de route d’une pincée de philo light. Bagarre éthylique dans un bar de l’Iowa, coucheries étudiantes, chastes émois ados, blagues potaches, geek balourd… Abrams déballe une panoplie plus actuelle que contemporaine qui est la vraie essence de sa lecture de Star Trek. La greffe est plus probante que celle opérée dans son précédent Mission impossible III, où l’envie d’inventer une vie de famille au super-espion Tom Cruise paraissait bien artificielle, comme une justification maladroite aux cascades aussi spectaculaires que gratuites qui rendaient le film épuisant et vain. L’idée de rendre la science-fiction absolument quotidienne (au bar, un alien en plastique se contente de suivre la conversation des deux humains qui l’entourent, comme si c’était lui l’effet normal de la scène !) densifie le propos, et offre un beau tremplin à la partie spatiale qui s’ensuit. De la destruction de la planète Vulcain à l’exil sur une terre glacée peuplée de monstres dangereux (clin d’œil œcuménique au frère ennemi Star Wars), le spectacle fonctionne et s’avère souvent plaisant.

Chair fraîche

Cette habileté n’est cependant pas sans défauts, même si tous répondent à cette logique du film d’ados perdus dans l’espace. Abrams montre ainsi ses limites quand il doit filmer de simples séquences de dialogue, où il ne peut plus se cacher derrière des gimmicks et des gags (pas très fins, au passage). La caméra inclinée témoigne d’une peur du vide qui est l’inverse du style, comme s’il fallait travestir la simplicité de la situation derrière un truc de réalisation assez absurde. Mais le plus problématique reste le casting du film : en Jim Kirk rebelle, Chris Pine est transparent, sorte d’acteur de sitcom égaré dans une œuvre trop grande pour lui. Simon Pegg reprend quant à lui son personnage de geek forgé dans Mission impossible III, autocitation agaçante conduisant à un cabotinage surprenant de la part du co-auteur de Shaun of the dead. Mais on voit bien où Abrams veut en venir avec cette distribution de corps encore peu utilisés par l’industrie du divertissement : retrouver son statut de créateur brillant qui, par l’iconisation des univers qu’il explore, bâtit une œuvre d’auteur par-delà ses concepts. La relégation des seules vraies stars du film au statut de seconds rôles (Eric Bana en Romulien tatoué et méconnaissable, Winona Ryder en mère de Spock) en est l’indice définitif : ce Star Trek, double inversé et optimiste du beau et sombre Watchmen, cherche de l’inédit et de la chair fraîche dans un genre peuplé de fantômes engourdis. Il n’est pas loin d’y parvenir…

Star Trek
De JJ Abrams (ÉU, 2h08) avec Chris Pine, Zachary Quinto, Eric Bana…

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