Mercredi 20 mai :
Il y a, dans un festival de cinéma, des temps forts et des temps morts, des moments où tout le monde reprend son souffle et d'autres où tous les retiennent. Ce qui est curieux, c'est qu'à l'échelle de Cannes, où le moindre buzz s'amplifie en quelques heures, en bien (Les Chats persans le premier jour) ou en mal (le pauvre Lars Von Trier, qui l'a un peu cherché il est vrai). Mais la plupart du temps, le temps mort s'apparente à une sensation persistante de déjà vu. Ainsi, le Almodovar a fait figure de non événement. Beaucoup l'avaient déjà vu, justement, à Paris avant de venir, d'autres se disaient qu'ils attendraient le lendemain pour le voir en salles, où Étreintes brisées sort sur une très large combinaison de copies. Bizarrement, une fois le film vu, l'impression est exactement la même : d'une maîtrise bluffante tant dans la narration que dans la mise en scène, il ne provoque pourtant aucune réelle surprise. On pourrait mettre cela sur le compte de l'effet de signature Almodovar. Son cinéma est devenu extrêmement identifiable en effet, mais de là à dire qu'il est prévisible, c'est y aller un peu fort. Ce qui gène en revanche dans Étreintes brisées, c'est son application à ne jamais dévisser de son programme. Depuis La Mauvaise éducation, film théorique et réflexif, quelque chose s'est glacé dans le cinéma d'Almodovar, et ce dernier film en témoigne encore : rien n'y est vraiment mauvais ou raté, mais aucune émotion ne perce sa surface souveraine, créant une distance un peu fatale avec le spectateur. La présentation du documentaire consacré par l'excellent Serge Bromberg à L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot dans la sélection ‘Cannes Classics' aurait pu lui aussi faire l'événement. Si le public a massivement répondu présent, on est un peu perplexe face au résultat : l'enquête sur ce tournage homérique et finalement avorté (Reggiani qui se barre au bout de deux semaines, un décor condamné à disparaître, Clouzot qui fait une attaque cardiaque), et sur les ambitions démentes du cinéaste (faire un film révolutionnaire esthétiquement) est passionnante. Mais c'est surtout la curiosité de découvrir les bobines perdues, retrouvées et restaurées de l'œuvre qui excite le spectateur. Et là, déception ! Les séquences tournées sont assez proches du remake fait par Chabrol trente-cinq ans plus tard, et ce qui devait faire l'originalité de la mise en scène (des images cinétiques, psychédéliques et expérimentales) n'est là qu'à l'état d'essais rébarbatifs. Manquant de matière, Bromberg sert ses rushs un peu trop bruts, notamment l'interminable passage où Reggiani court sur la route. Quant aux séquences tournées en vidéo avec Gamblin et Bérénice Béjo pour assurer un semblant de continuité dans l'histoire, elles ne servent pas à grand-chose et font cheap quand on les compare à la mégalomanie du projet initial. On pensait voir le phoenix d'un grand film, on a eu droit à un très bon bonus DVD. C'est toujours ça de pris !