Mylayne, oiseau rare

Expo / Au Musée d'art contemporain, le photographe Jean-Luc Mylayne déploie ses grands formats mettant en scène des oiseaux. Naïf ? Non, superbe et poétique ! Jean-Emmanuel Denave

Le MAC a l'esprit de contradiction. Alors que son premier étage est consacré à la star du rock Alan Vega (voir encadré), les deux étages supérieurs sont dédiés à l'œuvre photographique de Jean-Luc Mylayne, ascète méconnu méditant sur le temps, la mort, la fragilité des choses et des êtres. L'artiste a la réputation farouche et son curriculum vitae se résume à ces mots : né en 1946, baccalauréat de philosophie, vit et travaille dans le monde... Dans le monde des oiseaux surtout, obstinément même, faudrait-il préciser. Car, avec son épouse, Mylayne erre depuis plus de trente ans, en France ou à l'étranger, à la recherche et à la rencontre photographique de merles, colibris, rouges-gorges ou autres volatiles d'espèces généralement courantes. Il ne s'agit pas de traquer l'exotisme ou l'extraordinaire, mais de capter le doux murmure de la vie et de la mort, la rumeur toujours recommencée, voire insoupçonnée, de l'existence parmi ses coordonnées spatiales et temporelles. Derrière l'apparente banalité ou naïveté des œuvres de Mylaine, se découvre très vite une attitude philosophique proche d'un Pascal, avec un homme (ou un oiseau) pris entre deux infinis, des silences éternels, des espaces démesurés. «Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature», écrivait le philosophe, et l'on pourrait appliquer cette phrase à bien des photographies de Mylayne... Le petit oiseau va sortir
Mais revenons concrètement à la méthode de travail si particulière de l'artiste. Pendant de longues périodes (plusieurs semaines, plusieurs mois voire plusieurs années), il observe, contemple des volatiles dans de grands espaces naturels ou à proximité d'habitations. S'il ne va pas, comme Saint-François d'Assise, jusqu'à parler aux oiseaux, Mylayne établit avec ses «comédiens», comme il les appelle, une communication et une complicité étonnantes. Repérant certaines configurations ou moments remarquables, l'artiste s'emploiera ensuite à les remettre en scène, en apprêtant méticuleusement lumières, couleurs, «décors», attendant patiemment que le volatile reprenne la place attendue. Mylayne n'utilise jamais de téléobjectifs et fabrique lui-même ses appareils avec plusieurs optiques qui lui permettent d'éclater le champ visuel habituel, de ménager sur un même plan des zones floue et des zones nettes. Chaque «tableau photographique» se propose alors au regard comme une invitation au voyage, une désorientation, une expérience singulière... Comme un bloc d'affects et de sensations, selon l'expression de Deleuze, où l'on se perd d'abord, puis au sein duquel on remarque des lignes de tension, des rapports inhabituels entre des signes épars, des points d'intensité, des fragments de poésie pure. «Quand je vois un oiseau, je vois en même temps cet oiseau sur un arbre près de la maison. Je vois tout comme un ensemble, et je me rends compte que c'est ainsi que je vois tout dans la vie», écrit Mylayne.«L'éclair me dure»
Au deuxième étage du musée, l'espace immense d'exposition est totalement ouvert, et l'on se retrouve, spectateur minuscule, devant de très grandes images de Mylayne où les oiseaux eux aussi semblent des présences infimes parmi l'étendue. Ce sont : une petite tâche de rouge au sommet d'un arbuste nu, une vibration d'ailes en suspens et à contre-jour, une frêle station au sommet du point d'interrogation d'une branchette... Les volatiles apparaissent de manière discrète, disparaissent sur l'image suivante, flirtent avec le bord du cadre. Mylayne décentre le territoire de l'image, en redistribue les cartes et les polarités habituelles. À ce jeu sur l'espace s'ajoute un travail plus important encore sur le temps : une photographie de Mylayne est à la fois un instant éphémère et la concentration d'une durée de plusieurs mois (durée de ses méditations et mises en scène). Sans compter encore le temps d'un éventuel micro-récit avec des images présentées en polyptyque : récits d'une rencontre amoureuse, d'une disparition... Au troisième étage, l'idée de vanité est accentuée avec l'apparition d'un nouveau motif : la pomme. La pomme dite «tête d'or» notamment qui a pour particularité de pourrir de l'intérieur et de former une sorte de masque mortuaire. Le cadre de Mylaine se resserre sur les volatiles et les pommes, les effets de matières et de couleurs s'intensifient, le temps et les sensations s'épaississent. Autant de petits drames jaillis de l'écorce de l'être, autant de grandes émotions fixées à la surface des images.Jean-Luc Mylayne
Au Musée d'art contemporain jusqu'au 2 août.

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