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Le carré parfait de Truffaut

L’œuvre de François Truffaut, actuellement projetée dans son intégralité à l’Institut Lumière, est entièrement contenue dans ses quatre premiers films, où l’on trouve aussi un précipité de ce qu’a été la Nouvelle Vague. Christophe Chabert

Vingt-cinq ans après sa mort, un demi-siècle après son premier film, l’héritage de François Truffaut est encore vivace dans le cinéma mondial. De Loach à Desplechin, de Tsai Ming Liang à Steven Spielberg, d’Almodovar à Wes Anderson, l’œuvre du cinéaste infuse chez les grands auteurs actuels. Intègre et personnelle, elle a pourtant plusieurs visages, que Truffaut avait balisés avec ses quatre premiers films, dont tous les autres ne sont que des déclinaisons affinées, des suites rêveuses ou des remakes cachés.

Les 400 coups : Antoine Doinel est né

Sensation au festival de Cannes 1959 : le critique de cinéma François Truffaut devient cinéaste et réalise Les 400 coups, en rupture radicale avec l’esthétique du cinéma français à l’époque. Un vent de vérité, du décor aux acteurs, mais aussi une maîtrise de la mise en scène, fondée sur un apparent refus de la maîtrise, baignent ce film pionnier. Truffaut s’y invente un alter ego de fiction, Antoine Doinel, et lui offre un corps et une voix inédits, ceux de Jean-Pierre Léaud. Aussi insoumis que son personnage et son auteur, Les 400 coups parle d’une enfance éprise de liberté dans un monde qui ne va pas assez vite à son goût, jusqu’à un dernier plan inoubliable : un long travelling sur une plage où Doinel s’échappe et contemple l’horizon. Truffaut ne le laissera pas là. Il le retrouvera à intervalles réguliers : adolescent amoureux (Antoine et Colette, sketch de L’Amour à vingt ans), jeune adulte indécis (Baisers volés), homme marié (Domicile conjugal) puis divorcé (L’Amour en fuite), Doinel rejoue à dix ans d’écart les mouvements sentimentaux de la vie de Truffaut. C’est pour lui une récréation sérieuse : d’une folle liberté de ton, les aventures d’Antoine Doinel forment une longue comédie douce-amère, mais aussi un regard amusé sur la France et ses mutations.

Tirez sur le pianiste : la tentation du noir

Truffaut, lorsqu’il était critique, défendait bec et ongle les séries B américaines. Dès son deuxième long-métrage, il en offre une lecture toute personnelle : en adaptant librement un roman de David Goodis, Truffaut se joue des codes du polar. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas l’intrigue, mais les figures de style qu’elle autorise. Tirez sur le pianiste n’est pas un film noir, mais une méditation ludique sur un genre aimé et son histoire. Cette tentation du genre traverse son œuvre, sans jamais y succomber : La Mariée était en noir et La Sirène du Mississippi, tous deux tirés de William Irish, transforment ces deux polars en drame romanesque et en comédie romantique. Pour ce qui sera son dernier film, l’extraordinaire Vivement dimanche !, Truffaut revient au noir, mais en retire toute gravité. Le film est léger, euphorique, loin de tout crépuscule, sinon a posteriori celui d’une œuvre terminée prématurément alors qu’elle semblait trouver une nouvelle jeunesse.

Jules et Jim : le roman et l’histoire

Film fou, d’une liberté exceptionnelle tant dans sa mise en scène que par son sujet (une femme aime deux hommes, liés par une indéfectible amitié malgré les soubresauts de l’histoire), Jules et Jim est le premier chef-d’œuvre de Truffaut. Il constitue aussi une des colonnes vertébrales les plus solides de son œuvre : le grand film romanesque inscrit dans l’Histoire. Sans nostalgie mais avec beaucoup de mélancolie, le cinéma de Truffaut a besoin de ce socle pour exprimer les tourments et les aspirations de ses personnages : la passion d’une jeune femme, fille de Victor Hugo (L’Histoire d’Adèle H.), l’obsession mortifère d’un homme brisé par la guerre, ignorant les vivants qui l’entourent (La Chambre verte), la Résistance depuis les coulisses d’un théâtre (Le Dernier Métro). S’ils ne retrouvent jamais la folle énergie de Jules et Jim, ces films, les plus profonds et les plus sérieux de Truffaut, ont assis sa réputation internationale.

La Peau douce : la passion du cinéma

Après l’invention à l’œuvre dans Jules et Jim, la mise en scène de La Peau douce paraît classique. Pas d’ouvertures à l’iris, pas d’adresse caméra, pas de chansons, pas de raccords sauvages… De là à identifier cette «sagesse» aux enjeux de son récit (un adultère tragique dans un couple bourgeois), il n’y a qu’un pas… Mais La Peau douce n’est ni l’acte final de la Nouvelle Vague, ni la phase d’embourgeoisement de l’œuvre de Truffaut. C’est, au contraire, son acmé et son dépassement. Car ce n’est plus le scénario qui raconte l’histoire, mais la caméra et le regard du cinéaste, chargeant chaque mouvement d’appareil d’un sens qui se dérobe aux mots. Raconter le film, c’est le décrire ; en parler, c’est parler de l’amour de Truffaut pour le cinéma. Dans le même temps, Godard choisit la voie théorique avec Le Mépris, Rozier celle de la spontanéité avec Adieu Philippine. De ce triangle sortira tout le cinéma moderne français, et Truffaut évoluera à l’intérieur avec son style propre : ce sera La Nuit américaine, Les Deux Anglaises et le continent, L’Homme qui aimait les femmes et le mélodrame absolu qu’est La Femme d’à côté. Des films où aimer est indissociable du fait de filmer. Totalement, tendrement, tragiquement.

Intégrale François Truffaut
À l’Institut Lumière jusqu’au 14 juillet.

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