Non ma fille tu n'iras pas danser

Portrait de femme en mère, fille, épouse et amante contrainte, le nouveau Christophe Honoré confirme l’anachronisme du cinéaste dans le cinéma français contemporain. Christophe Chabert

Il y a deux belles scènes dans le dernier film de Christophe Honoré : celle où un père s’adosse à un arbre pour s’adresser au spectateur et raconter, sur un ton grave, le roman familial. Le texte est beau, le mouvement de caméra fluide, la mélancolie règne… L’autre séquence réussie du film est plus tardive et plus longue : c’est un vieux conte breton qu’Honoré met en images, interrompant avec audace le cours de son récit pour mieux l’éclairer de cette allégorie. Il y est question d’une fille promise à un mariage de raison et qui, le jour de ses noces, voit son mari puis tous les hommes du village mourir à ses pieds, foudroyés alors qu’ils dansaient avec elle. L’héroïne du film, Léna (Chiara Mastroianni), est elle aussi contrainte par les désirs qui l’entourent et lui dictent sa conduite : le clan familial, son futur ex-mari, son amant… De tout cela, elle va chercher maladroitement à s’échapper, pour assumer son statut de mère libre et de femme indépendante.

Danse solitaire

Certes, le discours d’Honoré est bien rodé. Le problème, énorme, de son film, c’est que ce discours est un spectre qui ne s’incarne jamais à travers les plans. Honoré pense que la force de ce qu’il dit (pas de ce qu’il raconte, car tout cela n’a rien de nouveau) l’exonère de ce qui est tout de même le métier premier d’un cinéaste : sa réalisation à l’écran. Un dialogue ici se fait forcément autour d’une table ou dans un lit, on rumine ses états d’âme en marchant seule dans les champs ou dans une rue la nuit… Poncifs visuels qui n’ont même pas conscience d’eux-mêmes, mais qui pèsent lourd dans un film dénué de la moindre idée de spectacle. Ce cinéma-là, plus que son origine géographique (on ne manquera pas, mais c’est trop facile, de trouver tout cela bien français), frappe par son anachronisme : Honoré est un cinéaste des années 90 égaré dans le XXIe siècle. S’imaginant comme un héritier d’une Nouvelle Vague dont il ne retiendrait que le decorum théorique mais jamais la force visuelle, il laboure des terres rendues arides par plus brillant que lui (Desplechin, pour ne pas le nommer). Il faut donner beaucoup pour aller chercher dans le film l’émotion qui devrait l’emporter ; ce qu’Honoré nous offre en guise de bienvenue, ce petit pas vers le spectateur nécessaire à son envie de partager l’univers de l’auteur, est en revanche très maigre. C’est le défaut majeur de Non ma fille tu n’iras pas danser : sa terrible avarice — ou, l’inverse est plus clair, son cruel manque de générosité.

Non ma fille tu n’iras pas danser
De Christophe Honoré (Fr, 1h45) avec Chiara Mastroianni, Marina Foïs, Louis Garrel…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 11 février 2020 Sur une plage estivale, la police interpelle Lise, 16 ans. Deux ans plus tard, la cheville ceinte d’un bracelet électronique, la jeune femme s’apprête à comparaître pour l’assassinat de sa meilleure amie. Le procès va révéler un visage insoupçonné...
Mardi 21 janvier 2020 Parmi les nombreux grands rendez-vous classiques de cette fin de mois janvier, le pianiste Evgeni Kissin revient à Lyon avec un programme qu'il a longtemps redouté, les sonates de Beethoven.
Mardi 12 mars 2019 Membre du Collectif X, Maud Lefebvre a la rigueur des grands enfants appliqués et la folie de ceux qui tentent de bousculer le quotidien. C’est comme metteure en scène de Cannibale que cette comédienne de formation nous avait épatés. Avec Maja, à la...
Lundi 24 septembre 2018 Dans cette fresque révolutionnaire entre épopée inspirée et film de procédure, Schoeller semble fusionner Versailles et L’Exercice de l’État, titres de ses deux derniers long-métrages de cinéma. Des moments de haute maîtrise, mais aussi d’étonnantes...
Mardi 9 janvier 2018 Après les deux rentrées littéraires de l'année, riches de plus d'un millier d'œuvres, et avec le printemps, revient la saison des salons et autres manifestations littéraires d'envergure dans l'agglomération. Avant-programme à l'usage du lecteur...
Mardi 19 avril 2016 Cinéaste aux inspirations éclectiques (mais à la réussite fluctuante), Christophe Honoré jette son dévolu sur deux classiques de la Comtesse de Ségur pour une surprenante adaptation, à destination des enfants autant que des adultes.
Mardi 29 mars 2016 de Farid Bentoumi (Fr, 1h30) avec Sami Bouajila, Franck Gastambide, Chiara Mastroianni…
Mardi 25 novembre 2014 De Katia Lewkowicz (Fr, 1h35) avec Marina Foïs, Laura Smet, Noémie Lvovsky…

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X