Des hommes (Minuit)
Laurent Mauvignier est l’un des très rares écrivains contemporains dont on peut lire n’importe quelle page au hasard en ayant la certitude qu’elle est issue de sa plume. Son style inimitable, circulaire et polyphonique, qui nous donne parfois l’impression de lire en dolby stéréo, nous avait déjà émerveillés dans son précédent roman,
Dans la foule, consacré au «drame du Heysel».
Des hommes confirme la force d’une écriture qui parvient à représenter l’histoire collective à travers la voix d’une génération, tout en incarnant les histoires individuelles dans des personnages d’une épaisseur incomparable. C’est le cas de Feu-de-bois, alias Bernard, que l’on découvre dans une première scène d’une brutalité inouïe : qu’est-ce qui pousse cet ours solitaire et silencieux, imbibé d’alcool, à débouler dans la maison du seul Algérien du village pour tenter de violer sa femme et terroriser ses enfants ? C’est ce que l’on découvre dans la troisième partie du livre, intitulée ‘Nuit’, dans laquelle Mauvignier nous plonge, quarante ans plus tôt, en Algérie, au cœur de la guerre a laquelle Feu-de-bois a participé. La violence, la peur, la cruauté des hommes : Mauvignier parvient à représenter cette barbarie extrême avec une intensité qui fait froid dans le dos… En mettant en parallèle ces deux époques, séparées par quarante années de silence, l’auteur montre les stigmates du passé, les blessures qui ne se referment pas et la résurgence du mal. Sa langue, d’une amplitude hallucinante, parvient avec force à parler «des hommes» dont la vie est percutée par l’inhumanité la plus effroyable, et qui doivent reprendre le cours «normal» de leurs vies. Des hommes qui sont, avant tout, des hommes comme nous. YN
