Jan Karski (Gallimard)
«Qui témoigne pour le témoin ?». Cette citation de Paul Celan, placée en exergue de Jan Karski, dit tout du projet romanesque de Yannick Haenel, qui dresse ici le portrait morcelé d'un homme au destin extraordinaire ayant tenté, durant la Seconde Guerre mondiale, d'alerter (en vain) les consciences sur l'extermination des Juifs d'Europe. Fait prisonnier dès 1939 par les troupes soviétiques, Jan Karski s'évade et rejoint la résistance polonaise pour laquelle il tient le rôle de messager auprès des gouvernements alliés. Après être allé à deux reprises dans le ghetto de Varsovie, puis dans un camp de la mort nazi, il rencontre certains des dirigeants les plus influents de ce monde, sans que son cri d'alerte ne soit entendu. Haenel choisit de rendre compte du parcours de Jan Karski en trois temps. En revenant d'abord sur son témoignage dans le film de Claude Lanzmann, Shoah, durant lequel il évoque son passage effroyable dans le ghetto de Varsovie. En commentant ensuite son livre autobiographique, ‘Mon témoignage devant le monde', durant lequel le «messager inaudible» revient sur cette période, de sa mobilisation en 1939 à l'échec de sa discussion avec Roosevelt en passant par son rôle dans la Résistance polonaise. En s'éloignant, dans une troisième partie plus fictionnelle, de la réalité documentaire, puisque Yannick Haenel livre là le monologue imaginaire d'un homme qui aura vécu pendant des années (Karski s'éteint en 2000) avec en lui la vision de l'horreur et le dégoût vis-à-vis de ceux (les alliés) dont la passivité a pris des airs de complicité. Un livre aux frontières du document et du roman qui pose des questions fondamentales avec une très grande audace formelle. YN