À la Mode

Renouvelant sans cesse son style, Depeche Mode a traversé les décennies comme autant de renaissances. Et survécu aux modes sans jamais perdre son âme. Depeche Mode d’emploi d’un groupe passé maître dans l’art d’appartenir à son époque. Stéphane Duchêne

1978-83 : La période “coiffeurs”

(Speak & Spell, 1981 / A Broken Frame, 1982 / Construction Time Again, 1983)
Quand Speak & Spell sort en 1981, le groupe de Basildon existe depuis déjà trois ans sous diverses appellations. Et à vrai dire, en dehors d’une sympathique ritournelle au synthé, le culte Just Can’t Get Enough, personne ne donne cher de la peau de ce groupe qui, en pleine ère punk, a voué ses compositions au dieu synthétiseur. Et aussi un peu à la fée minivague, ce qui vaut au groupe moult railleries. Mais le groupe compte en Vince Clarke (futur Yazoo et Erasure), rapidement démissionnaire, puis Martin L. Gore, deux petits génies de la composition. Et en la personne de Dave Gahan une belle gueule de petite frappe et un beau brin de voix grave, qui n’en finiront jamais de gagner en charisme. Comme en plus le grand rouquin Andy Fletcher est très doué en management et marketing (son rôle musical étant limité), le groupe a tout pour réussir. Rejoint par le bidouilleur de textures sonores Alan Wilder, Depeche Mode gagne en profondeur de champs et s’invente, sur A Broken Frame et Construction Time Again, un son à la fois triste et dansant, industriel et synthétique, alliant rigueur soviétique (le groupe est féru d’imagerie communiste) et fantaisie commerciale décomplexée (les années 80). Comme s’il s’agissait, des deux côtés du Mur de Berlin, de faire danser les cols bleus le long des chaînes de montage de deux exploitations ouvrières qui n’en forment qu’une.

1984-1987 : Musique pour les Masses

(Some Great Reward, 1984 / Black Celebration, 1986 / Music for the Masses, 1987 / 101, 1989)
C’est la période de l’explosion. Deux raisons à cela : le son et l’image. Le son s’étoffe, se fait plus ambitieux, entre les compositions de Martin Gore et les recherches sonores d’Alan Wilder influencées par le rock industriel. Some Great Reward donne à Depeche Mode des tubes comme People are People ou le controversé Master & Servant qui permettent au groupe de franchir l’Atlantique. Le groupe de Basildon réussissant là où beaucoup d’Anglais ont échoué. À partir de Black Celebration qui enfonce le clou, l’image du groupe est alors prise en main par le photographe hollandais Anton Corbijn. Avec lui, l’ex-groupe de «garçons-coiffeurs» opte pour une esthétique en noir et blanc expressionniste qui est la marque de fabrique du maître. Et aligne des vidéo clips de toute beauté qui jouent un rôle capital dans la promo du groupe. Du coup, Depeche Mode ne croit pas si bien faire en sortant en 1987 le mégalo Music for the Masses. Car la tournée qui s’ensuit, longue de 101 dates, est une véritable épopée dans des stades hystériques. D.A. Pennebaker, le grand documentariste, immortalise la chose avec le mythique film-concert 101. À cet instant, artistiquement et commercialement, Depeche Mode semble au sommet.

Années 90 : Grandeur et décadence

(Violator, 1990 / Songs of Faith & Devotion, 1993 / Ultra, 1997)
Pourtant, alors que l’entame des années 90 voit tous les groupes de la décennie précédente mourir à petit feu, Depeche Mode dégaine son chef-d’œuvre, la pierre angulaire de sa discographie, le terrible Violator. Toujours à la pointe de la recherche sonore, Depeche Mode s’adapte et commence même à convoquer des guitares (le fameux riff de ‘Personal Jesus). Martin Gore aligne ainsi les perles pour un Dave Gahan qui chante sur le toit du monde au propre comme au figuré (voir le clip d’Enjoy the Silence). Même les détracteurs antédiluviens du groupe s’inclinent. La décennie sera paradoxalement infernale pour un groupe déchiré entre guerre d’ego, problèmes de drogue, alcoolisme et tentatives de suicide. C’est un Dave Gahan amaigri, christique et tatoué qui annonce Songs of Faith & Devotion, la contribution du groupe au grunge : rock, crade, nourri de gospel et impeccable. C’est le dernier album du quatuor, Alan Wilder, le George Harrison Modien, jamais reconnu à sa valeur, claquant la porte. Pour clore la décennie : Ultra, fantastique album de crooning zombie où un Dave Gahan mort vivant, ravalé au Pento et au Khôl, joue les Sinatra de décharge publique sous les guitares acides.

Années 2000 : Retour à l’électro

(Exciter, 2001 / Playing the Angel, 2005 / Sounds of The Universe, 2009)
Après cette terrible et riche décennie, Depeche Mode est non seulement toujours debout mais également toujours inspiré et culte. Le groupe a durablement influencé l’électro mondiale depuis deux décennies mais aussi le rock en général. Après le très beau Exciter, pleins de berceuses désarmantes et de poèmes psycho-sexuels, et même déjà un peu avec lui, Depeche Mode revient doucement puis sûrement à l’électro. Le trio qui dans l’épreuve a appris le partage (Gahan est autorisé à livrer ses morceaux), ne compose plus forcément de «Musique pour les Masses» mais, après avoir «joué les anges», des «sons pour l’univers» (voir encadré). La nuance a son importance, c’est celle d’un groupe définitivement en orbite dans le ciel de la pop mondiale, que plus grand-chose ne peut atteindre mais qui ne finira jamais tout à fait de nous toucher.

Depeche Mode
«Tour of The Universe»
À la Halle Tony Garnier, lundi 23 novembre.

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