L'Acteur

Entretien / Laurent Terzieff est à l’affiche du Théâtre National Populaire de Villeurbanne. Il apparaît sous les traits de Philoctète, vieil homme blessé et abandonné par les siens sur une île, dans une mise en scène de Christian Schiaretti. Rencontre avec un acteur magistral. Propos recueillis par Dorotée Aznar

Petit Bulletin : Cette pièce de Jean-Pierre Siméon a, semble-t-il, été écrite pour vous….
Laurent Terzieff : Oui, enfin pas exactement. C’est très mauvais signe quand un auteur dit écrire pour moi ou penser à moi quand il écrit. Souvent, les gens ont de moi une vision fantasmatique ! En fait, Jean-Pierre m’a fait un petit chantage affectif amical. Cette pièce lui a été commandée par Christian Schiaretti et il m’a dit qu’en l’écrivant, il avait pensé à moi. Jean-Pierre est un ami depuis quinze ans, et c’est surtout un très grand poète. Mais j’ai également accepté de jouer dans cette pièce car Schiaretti est, selon moi, un metteur en scène formidable. Tout était donc réuni pour que j’accepte.Vous connaissiez personnellement Christian Schiaretti ?
Non, je le connaissais par son travail que je suis depuis une dizaine d’années. J’ai été ébloui à chaque fois par ce qu’il faisait. Son ‘Opéra de quat'sous’ extraordinaire, ‘Père’ de Strindberg rarement aussi bien monté en France, ‘Par-dessus bord’ ou encore l’apothéose de ‘Coriolan’C’est la première fois que Christian Schiaretti propose une mise en scène aussi épurée, laissant autant de «place» à un acteur…
C’est vrai, mais je ne crois pas que Schiaretti ait voulu laisser plus de «place» à l’acteur. Le théâtre s’exprime forcément par l’acteur. Certaines pièces nécessitent une mise en scène luxuriante, d’autres au contraire une épure. Je ne crois pas que la sobriété dans ‘Philoctète’ masque une absence d’imagination. Au contraire. Si sa mise en scène s’exprime effectivement beaucoup par l’acteur, Schiaretti a cependant fait un travail de mise en scène formidable.Cela rejoint vos propres convictions en tant que metteur en scène…
C’est peu être un peu janséniste, mais j’ai effectivement une éthique qui me pousse à exprimer un maximum de choses avec un minimum de moyens, que ce soit sur le plan matériel, sur le plan du décor ou sur le plan de l’énergie dépensée. Montrer sans démontrer, c’est ce que j’aime. Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle ?
Je m’y suis mis très tôt. J’ai été saisi de ce projet, il y a presque un an et demi. Entre temps, j’ai monté ‘L’Habilleur’ qui est un spectacle très lourd pour moi et dans lequel je jouais un rôle important également. Pendant un an, je me suis donc levé plus tôt et j’ai consacré une heure à mon travail sur ‘Philoctète’. Quand un texte détient une énorme richesse, une énorme profondeur comme c’est le cas ici, je crois que l’alchimie des mots imprègne l’acteur à condition qu’il soit assez patient et assez humble pour se colleter avec les mots, sans faire de la psychologie ou de maniérisme philosophique. Je crois beaucoup au pouvoir logomachique des mots dans un texte poétique…Le personnage de Philoctète semble beaucoup vous amuser. D’ailleurs vous provoquez le rire des spectateurs aux moments les plus inattendus…
Il y a une dimension d’humour dans ce texte. J’ai remarqué que dans la tragédie, il y a toujours un moment où l’on a envie de rire et ce, même quand l’auteur ne l’a pas souhaité. Chez Racine, l’auteur le plus sérieux du XVIIe siècle, il y a des moments où l’on a envie de rigoler : dans l’outrance d’Hermione, dans la mollesse de Pyrrhus… S’il n’y a pas une dimension d’humour, il n’y a pas de vérité. Dans la vie, on rit, on pleure et parfois les deux en même temps.Comment jugez-vous le travail des jeunes acteurs qui partagent la scène avec vous ?
Je les trouve formidables, c’est une fontaine de jouvence d’être avec eux. Ce sont des acteurs très studieux, mais dans le bon sens du terme. Ils prennent leur travail très au sérieux.Cette mise en scène de ‘Philoctète’, fondée sur un texte moderne sans jeunisme ou actualisation excessive, représente-t-elle une forme de théâtre contemporain comme vous l’aimez ?
Je trouve la mise en scène de Schiaretti très audacieuse ; c’est très culotté de garder le rideau fermé tout au long de la pièce ! Et dans le texte, je trouve qu’il y a un côté populaire dans le bon sens du terme, sans aucune trivialité. Ce sens ancien de la formule populaire m’a beaucoup frappé. Cela m’a rappelé Claudel…Quels sont les auteurs qui vous séduisent aujourd’hui dans le théâtre contemporain ?
Je n’arrive pas à trouver dans le théâtre contemporain, en France, des auteurs qui tiennent compte des deux aspects fondamentaux de la condition humaine : le monde intérieur et le monde extérieur, l’homme public qui se bat, aime et travaille et l’homme intérieur avec ses rêves, ses aspirations et ses angoisses. Je cherche une forme de symbiose entre ces deux aspects complémentaires de la nature humaine. Ça a existé en France, après la Guerre notamment, mais c’est surtout à l’est et chez les auteurs anglo-saxons que j’ai trouvé ce que je cherchais…

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