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The Limits of control

Caprice arty ou suicide commercial, le nouveau Jim Jarmusch laisse tomber intrigue et enjeux pour une narration poétique faite d’associations libres, de temps suspendu et d’espaces désertés. Difficile donc, mais pas sans charme. Christophe Chabert

The Limits of control, impasse ou aboutissement dans la carrière du finalement très rare Jim Jarmusch ? Son cinéma avait connu un premier moment de crise avec Night on earth où son goût du concept, du film à sketch et du minimalisme s’était transformé en routine auteuriste. C’était avant le génial Dead man, renaissance créative sur laquelle Jarmusch a surfé jusqu’au beau Broken flowers, couronné du Grand prix cannois. Il y revenait discrètement à la figure originelle de son œuvre, celle de l’errance, où l’évolution d’un personnage impassible et blasé s’écrivait rencontre après rencontre.

À ce titre, The Limits of control est comme le précipité abstrait de cette logique typiquement jarmuschienne. Isaach de Bankolé, monoexpressif du premier au dernier plan, y est un homme sans nom et sans passé, engagé dans une nébuleuse mission en Espagne où il croisera une femme nue, un homme avec un violon, un autre avec une guitare, une blonde cinéphile… Des personnages fonctions, anonymes, qui sortent au ralenti de son cerveau, d’une toile du Musée de la Reine Astrid à Madrid, ou de l’étrange rébus qu’un Français et un Créole lui présente dans un aéroport au début du film.

Pas de limites, pas de contrôle

Jarmusch établit une logique de la répétition poussée à l’extrême : échanges de boîte d’allumettes (rouge contre bleue, bleue contre rouge) avec un message à l’intérieur qu’il faut avaler après lecture ; conversations commençant toujours par la même phrase («Vous ne parlez pas espagnol, n’est-ce pas ?») où l’on entend systématiquement une question commençant par «Vous ne seriez pas intéressés par…» ; les exercices entre yoga et arts martiaux de Bankolé…

De fait, The Limits of control ne possède aucune intrigue, et sa narration obéit à une logique de rêve éveillé et de poésie cinématographique qui agacera sûrement, mais qui possède aussi un charme réel. En élaborant un monde suspendu et fantomatique (le temps se dilate, les villes sont froides, les villages sont déserts) qu’il filme en plasticien esthète, le cinéaste semble viser très haut : quelque part du côté de Godard (rien que ça…), première et dernière manières fusionnées. Et ce jusqu’au double titre du film : The Limits of control au début, mais No limits, no control à la fin. Avec cette variation sur l’art et l’imaginaire, Jarmusch se pose en cinéaste libre et sans barrière. Le risque est celui d’un certain autisme ; l’atout, celui d’un plaisir certain à se perdre dans son labyrinthe.

The Limits of control
De Jim Jarmusch (Espagne, 1h55) avec Isaach de Bankolé, Tilda Swinton, Paz de la Huerta…

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