Mineurs majeurs

Sorti en France sous le titre "Traître sur commande", "The Molly Maguires", immense film de Martin Ritt sur la naissance du syndicalisme dans les mines de Pennsylvanie, est à l’honneur de la Ciné-collection ce mois-ci. Christophe Chabert

Un lent travelling latéral part du ciel, descend le long des échafaudages d’une mine de charbon pour accompagner un wagon qui pénètre à l’intérieur. Raccord sur les ouvriers, leurs gueules noircies éclairées par la flamme qui brûle à l’avant de leur casque. Ils creusent, remplissent leur chargement, consolident les fondations… La cloche sonne ; ils quittent la mine en un cortège silencieux. Cinq d’entre eux restent en retrait. Ils posent des explosifs, et sortent à leur tour. Un nouveau travelling, arrière cette fois, les accompagne tandis qu’ils retrouvent la lumière du jour. Deux d’entre eux partent sans mot à gauche du cadre, deux autres à droite ; un homme reste seul au centre de l’écran tandis que la caméra prend de l’avance sur lui. Elle s’arrête, il la rattrape, sort du champ. La mine explose, le générique démarre. Ne serait-ce que pour cette introduction fabuleuse, quinze minutes sans dialogue somptueusement chorégraphiées et filmées (photo magnifique de James Wong Howe, chef opérateur de John Ford dont c’est l’avant-dernier film, beau thème musical d’Henry Mancini), "The Molly Maguires" méritait cette ressortie sur grand écran.

Le Germinal américain

Le film de Martin Ritt avait été oublié depuis sa sortie française sous le titre idiot de "Traître sur commande". Tourné en 1970 par un cinéaste progressiste connu jusqu’ici pour ses westerns et un bon film d’espionnage ("L’Espion qui venait du froid"), "The Molly Maguires" raconte comment un groupe d’activistes radicaux tentent, en 1876, d’inverser les rapports de force au sein des mines de Pennsylvanie en sabordant leur outil de travail. Jack Kehoe (Sean Connery), figure impassible, prudente mais déterminée, encadre cette bande d’Irlandais impulsifs. Un étranger, James MacParlan, incarné par l’excellent Richard Harris, intègre les Molly Maguires ; en fait, il est en service commandé pour le gouvernement américain. Plus que la naissance du syndicalisme, le film parle à travers ce personnage ambivalent de la naissance du sentiment syndical. Pour gagner la confiance du groupe, MacParlan doit à son tour devenir ouvrier, en subir les humiliations physiques et morales, et finit par ressentir l’injustice d’un système que, pourtant, il s’entête à servir. Avec un certain désenchantement — mais aussi une certaine lucidité, Ritt montre la solidité du capitalisme face aux aspirations anarchistes pour le mettre à terre. Le dernier plan, sublime, dit à quel point tout le monde sort perdant de cette lutte des classes désespérée.


The Molly Maguires

De Martin Ritt (1970, ÉU, 2h03) avec Sean Connery, Richard Harris…
Dans les salles du GRAC, jusqu’au 19 mars.

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