S'il est un écrivain qui a questionné récemment la notion de mémoire, c'est bien Yannick Haenel avec «Jan Karski», livre consacré à ce résistant polonais de la Deuxième Guerre mondiale, chargé de témoigner devant les alliés du sort funeste des Juifs. Cette question, au-delà de l'histoire (et de l'Histoire), stupéfiante, c'est celle des interstices mémoriels dans lesquels la fiction peut, ou pas, s'introduire. Après un décryptage du témoignage de Karski dans «Shoah» de Claude Lanzmann et un deuxième chapitre consacré à l'autobiographie du résistant, Yannick Haenel, dans la troisième partie du livre, parle à la place de Karski, ce «messager inaudible». Lui inventant une voix, celle fantasmée par l'écrivain. Et c'est bien ce qui fait polémique, Claude Lanzmann accusant notamment l'auteur de falsification. Quoi que l'on pense de ce débat ou du livre lui-même, celui-ci a au moins le mérite de poser la question de la légitimité de la fiction par rapport à la mémoire pour redonner une parole au «messager inaudible». Mais aussi, à l'inverse, celle de la légitimité de la mémoire à possiblement annihiler toute velléité fictionnelle. Passionnant. SD
Yannick Haenel (avec Laurent Binet)
À la Salle des Parieurs, dimanche 7 mars à 15 heures.