Les Chèvres du Pentagone

La première réalisation de Grant Heslov s’acquitte avec les honneurs d’un pari audacieux : créer une extrapolation fictionnelle autour des enquêtes hallucinantes de Jon Ronson, dans une farce que n’auraient pas reniée les frères Coen. François Cau

À l’origine, il y avait un livre et une série documentaire pour la BBC. Leur propos ? Dévoiler l’une des plus singulières expériences de l’armée américaine (la création, au début des années 80, d’une unité spéciale devant compter dans ses rangs des “super soldats“, des “moines guerriers“ dotés de pouvoirs psychiques), et ses funestes résurgences contemporaines (le dévoiement de certaines de ces méthodes, inspirées du mouvement New Age, pour torturer les prisonniers de guerre). De ce matériau de base édifiant, Grant Heslov et son scénariste Peter Straughan ont tiré une fiction prenant ouvertement le parti de la pantalonnade, comme peut en témoigner l’excellente scène d’introduction : de son bureau, un gradé (Stephen Lang, le balafré d’Avatar) fixe le mur d’en face avec une concentration forcenée, se lève, annonce son intention de se rendre dans la pièce d’à côté, se met à courir… et se mange le mur. Tout le ton du film est condensé en une séquence, son décalage entre une mise en scène très maîtrisée, flanquée d’une photo somptueuse et d’un montage imparable, et le grotesque des situations dépeintes – même si le trait n’a pas besoin d’être grossi, on sent que les acteurs (Clooney et Jeff Bridges en tête) s’en sont donné à cœur joie…

Quand j’étais petit, j’étais un jedi

Traverser les murs, disperser les nuages par la pensée, devenir invisible, voyager avec l’esprit, ou encore arrêter le cœur d’une chèvre en la fixant : tels sont les jeux de ces grands gamins en uniformes, dont le film nous retrace l’improbable périple, preuve parmi tant d’autres du grand chaos logistique que fut la Guerre Froide. La narration valse entre les tribulations d’un journaliste (Ewan McGregor) et d’un soldat “jedi“ (George Clooney, la classe moustachue personnifiée), et la genèse de “l’Armée de la Nouvelle Terre“. Au risque de perdre les spectateurs les plus circonspects dans un film abusant de la digression saugrenue pour mieux coller à la folie de son sujet… Mais c’est aussi grâce à cette construction volontairement déséquilibrée que Les Chèvres du Pentagone réussit une gageure dont les frères Coen se sont faits la douce spécialité : rationnaliser l’irrécupérable absurdité humaine à l’aide d’une grande rigueur formelle, où la plus grosse idiotie se doit toujours d’être proférée avec un sérieux papal… Un ton que Grant Heslov parvient à maîtriser jusqu’au bout du générique de fin, à la grâce d’une hilarante mise en garde.

Les Chèvres du Pentagone
De Grant Heslov (EU, 1h30) avec Ewan McGregor, George Clooney…

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