Bad lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans

Loin du film de Ferrara dont il ne reprend à peu près que le titre, Werner Herzog signe un polar burlesque et parodique, aussi déjanté et borderline que son personnage. Christophe Chabert

La première question qui se pose face à ce "Bad lieutenant", c’est celle de son titre. Pourquoi Werner Herzog a-t-il fait croire qu’il tournait un remake du film d’Abel Ferrara avec Nicolas Cage en remplaçant d’Harvey Keitel ? Car à l’écran, il n’y a pas l’once d’un point commun entre les deux, sauf si on considère qu’un flic accroc à la dope et amateur de paris sportifs est la seule invention de Ferrara ! Plus profondément, Werner Herzog adopte un traitement aux antipodes du naturalisme crasseux et brutal qui faisait l’essence esthétique du Bad Lieutenant original. Ici, dès que la possibilité d’une stylisation se profile, dès qu’une parenthèse peut s’ouvrir, Herzog s’engouffre dedans comme s’il voulait absolument échapper aux carcans du genre.

Quand Herzog fait l’iguane…

De fait, "Bad lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans" est plus une comédie qu’un polar, un exercice risqué de détournement d’un film de commande. L’ouverture, en plein ouragan Katrina, montre le Lieutenant du titre, encore sergent et pas bad du tout, s’illustrer en sauvant la vie d’un prisonnier qui risque de se noyer. Il sort de cet exploit avec un mal de dos carabiné qui l’oblige à suivre un traitement de cheval, complété par d’autres substances chimiques sans ordonnance (coke, crack, héroïne, marijuana). Il se met à la colle avec une prostituée sympa (Eva Mendes) et gère une enquête explosive, le meurtre de cinq Sénégalais par un trio de caïds locaux. Il est difficile de décrire à quel point Herzog se contrefout de cette intrigue. Un exemple l’illustre assez bien : alors que le film semblait décoller niveau suspense, le cinéaste s’aventure dans une abracadabrante histoire de chien à garder, qui emmène le héros de la maison délabrée de son père alcoolique à un hôtel de luxe où il croise un client allumé de sa pute de copine, qui ne s’exprime qu’avec des «hu hu…» et des « oh yeah !». N’importe quoi ? Certes, mais le film trouve ses meilleurs moments dans ces décrochages assez hilarants : une hallucination avec des iguanes filmés comme un clip animalier, un accident avec un alligator éventré, une très théâtrale résolution à base d’entrées-sorties outrageusement appuyées… Herzog sacrifie l’efficacité du récit à une paradoxale santé narcotique au diapason de son personnage principal maniaco-dépressif et errant dans un environnement sauvage : une Nouvelle-Orléans encore en état de choc. Herzog filme ses mœurs, ses ruines et sa faune comme un documentariste caché derrière la casquette du cinéaste de fiction.

Bad lieutenant : escale à la Nouvelle-Orléans
De Werner Herzog (ÉU, 2h02) avec Nicolas Cage, Eva Mendes…

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