À la recherche du temps perdu...

Spectacles / Le nouveau Week-end «Ca tchatche !» des Subsistances réunit rien moins que quatorze spectacles dans les domaines du théâtre, de la danse, du cirque et de la performance. Nous avons choisi de mettre l'accent sur trois d'entre eux, et des plus prometteurs. Jean-Emmanuel Denave

Attifée de plusieurs couches de vêtements, ceinte d'une sorte de pagne composé de cravates et parée de quelques breloques, Cynthia Hopkins a très franchement une drôle de dégaine. Elle évolue, espiègle, sur une petite scène recouverte de vieux tapis et fermée au fond par un épais rideau rouge. Ça sent (visuellement) la naphtaline et pour cause : la jeune artiste américaine (à la fois musicienne, danseuse, vidéaste, comédienne) se lance dans ce spectacle dans la composition du «portrait de [son] père sous forme de fragments». Fragments ou polyphonie, Cynthia Hopkins optant tour à tour pour l'accompagnement gestuel de voix off, des monologues où elle incarne parfois le rôle de son propre père, et de très belles chansons qu'elle a composées au piano (la chanteuse fait partie par ailleurs du groupe folk-rock Gloria Deluxe)... «The Truth : a tragedy» est une sorte de chœur éclaté en solo et en hommage à la tragédie grecque, mâtiné de beaucoup d'humour et de dérision, explorant la folie paternelle, ses déboires avec les psychiatres, et ses conséquences sur le trajet existentiel de sa fille.... Le tout est en anglais (sur-titré en français) et s'annonce comme une véritable curiosité !Torsions de vies
La folie et les relations œdipiennes font plus que rôder aussi dans le formidable spectacle de la canadienne Angela Laurier, «J'aimerais pouvoir rire». Nous avions découvert cette artiste aux Subsistances en janvier 2008 avec son premier opus «Déversoir» qui plongeait le spectateur dans le récit chaotique et furieux de son histoire familiale (à partir d'enregistrements sonores et vidéo) : la violence du père, les mots crus de la mère, la fratrie innombrable, la voix heurtée de son frère Dominique schizophrène... Danse, gestes, contorsions : l'acrobate transformait son corps en une tablette de cire, déformable à merci, pour accompagner ou retourner le sens du roman fou familial. «J'aimerais pouvoir rire» poursuit la quête de «Déversoir» en complexifiant et en intensifiant encore les effets de mise en scène comme le trouble des sentiments. Baignée de belles lumière virant du vert au blanc bleuté, la première partie du spectacle est un jeu de drapés et de voiles (religieux, vestimentaire, funèbre) parmi lesquels Angela Laurier plie et déplie son corps en postures expressives, en arcs hystériques, en simulacres d'accouchement... Dans la seconde partie, son frère Dominique la rejoint sur scène pour un dialogue à deux fait de danses, de contorsions, de mimes et de peinture vivante. Soit autant de séquences d'une grande beauté, violente et émouvante.Pulsions de vie
Yuval Pick (ancien danseur de la Compagnie Ohad Naharin, de Carolyn Carlson, de Russel Maliphant et du Ballet de l'Opéra de Lyon) a lui aussi effectué un retour sur son passé et ses racines familiales pour sa nouvelle création, «Score». Il est retourné dans sa ville natale, Tel Aviv, et a effectué un voyage à travers Israël à l'occasion duquel il dit avoir redécouvert son pays : «J'y ai été frappé par la densité de la population et par la méconnaissance mutuelle de ses différentes composantes. Les rapports entre les gens là-bas sont aigus». La danse de Yuval Pick est, elle aussi, aiguë, physique, percutante. Elle colle ici à une bande sonore constituée de bruits de rue, de témoignages et de musiques diverses enregistrés en Israël, et tente de restituer cette formidable pulsion de vie qui traverse le pays malgré la guerre. Une pulsion qui est rythmée, constituée, par l'opposition entre la contraction et l'expansion, voire le jet violent des corps les uns vers les autres. Trois jeunes (et très bons) danseurs se frottent ainsi à l'univers rude et organique du chorégraphe : ils exécutent des courses dispersées puis «rembobinées» sur un morceau de cold wave, se resserrent violemment en grappes emmêlées, ou, dans une ambiance techno, s'adonnent à des motifs plus répétitifs, saccadés et mécaniques... «On sent [en Israël] des énergies vitales à «haute tension», des sensations fortes d'urgence, de survie, qui ne sont pas encore transformées, une énergie brute et une vraie méconnaissance de l'autre», dit encore Yuval Pick. Sa pièce transmet ces affects «bruts» en une mosaïque dénuée volontairement de dramaturgie, directement des corps des danseurs à ceux des spectateurs.Week-end «Ca tchatche !»
Aux Subsistances du 25 au 28 mars.

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