Glorieux bâtard

Faits concernant Ricky Gervais : ses séries télé vous donnent une furieuse envie de le tabasser. Il a probablement le rire le plus irritant du monde. Sa misanthropie n’a d’égale que son goût exacerbé pour l’auto-flagellation, il manie le cynisme et la pure méchanceté avec un redoutable aplomb. Et c’est un véritable génie comique, comme le confirme sa première réalisation, The Invention of Lying. François Cau

Pour quiconque a vécu ne serait-ce qu’une semaine dans le merveilleux monde de l’entreprise, la vision de la série anglaise The Office relève du chemin de croix. Son créateur Ricky Gervais y interprète le rôle principal, David Brent, un patron tire-au-flanc, incompétent, pathétique dans ses tentatives incessantes d’attirer la sympathie de ses employés. La justesse avec laquelle il campe ce parangon de mesquinerie trouble jusqu’au malaise et la réalisation très documentaire accentuent une tension que peineront à reproduire les décalques américain (The Office itou) et surtout français (Le Bureau) de la série, préférant opter pour une approche sitcom du sujet. En même temps, il manquait à ces versions l’élément fondamental de la réussite du show : la performance de son acteur principal, onctueux connard que l’on prenait presque plaisir à détester de toutes nos forces, qui nous poussait à nous cacher les yeux lors de ses nombreuses scènes d’humiliation. Clown sinistre, prêt à surcharger son physique peu avenant pour décrocher un sourire, David Brent est le double négatif de son interprète, qu’on aurait amputé de sa subtilité et de sa finesse d’analyse.

Artiste maudit

Dans ses jeunes et folles années, Ricky Gervais se destinait plutôt à une carrière musicale – velléité qu’il n’hésite pas à moquer en taquinant la guitare d’un air fat dans The Office ou dans l’épisode des Simpsons qu’il a écrit. Les années 80 le voient même se frotter à la new wave, comme chanteur au sein du groupe Seona Dancing… Le temps de ranger son look de David Bowie en carton, et Gervais se retrouve manager du groupe Suede et d’autres rejetons du rock indé anglais. Ses contacts dans le milieu lui feront incorporer la radio londonienne XFM, où il officiera en tant que Dj. Mais l’histoire retient surtout que c’est là qu’il rencontre son comparse Stephen Merchant, son antithèse physique avec qui il prend grand plaisir à se mettre en scène, en Laurel & Hardy de la lose ordinaire. Stephen Merchant canalisera, de son flegme qu’il serait lourdement tentant de qualifier de Britannique, l’énergie volcanique et souvent incontrôlable de Gervais, son enthousiasme débordant, sa volonté de partager l’ironie cruelle de l’humanité en toutes circonstances avec tous ceux qui l’entourent, surtout ceux qui n’en ont aucune envie. Pour tenter de décrocher un job à la BBC, Merchant tourne un faux documentaire sur le monde de l’entreprise, avec les moyens du bord et son pote Ricky devant la caméra. Les exécutifs de la chaîne craquent pour le duo, et signent le projet en série. Lors de sa diffusion sur la BBC 2, The Office connaît un sort comparable aux costards cravatés de Mad Men : en voie d’annulation pour manque d’audience, la série est sauvée in extremis par un extraordinaire plébiscite critique. Au terme des quatorze épisodes, le concept est racheté à l’international, et décliné en Allemagne, en France, au Brésil, aux USA et au Québec.

Se perdre pour mieux se retrouver

Dès lors, pour les chasseurs de tête hollywoodiens, Ricky Gervais est une bimbo à un bal de débutantes. Imaginez : le type s’est construit sur un succès d’estime monstrueux, c’est une caricature sur pattes de l’Anglais acariâtre, hautain et finalement médiocre, et un comédien épatant capable de vous faire rouler par terre d’un haussement d’épaule. Tout le monde le veut, le drague, lui promet des lendemains qui chantent. Mais Gervais prend son temps et fait ce qu’il veut, comme se lancer dans le stand-up – on préfèrera son premier essai, le brillant et méchamment caustique Animals, à son successeur Politics -, ou aligner les apparitions dans des succès iconiques de la culture pop contemporaine : dans Alias, une hilarante scène coupée dans 24 («Hmm, je serais vous, j’appellerais Jack Bauer»), un épisode des Simpsons supervisé par ses soins, une voix dans le jeu vidéo Scarface… Le bonhomme occupe le terrain avec intelligence, et s’apprête à confirmer l’engouement autour de sa personne avec sa deuxième série, toujours conçue avec Stephen Merchant : Extras, le destin toujours funeste d’un figurant prêt à tout pour percer dans le métier. Chaque épisode contient une guest-star prestigieuse, jouant le jeu de l’autocritique avec une rare violence. Ben Stiller fait sa vedette imbuvable, Daniel Radcliffe le puceau à baffer, Kate Winslet la chasseuse d’Oscar... En 2006, Ricky Gervais finit par céder aux sirènes hollywoodiennes et enchaîne les panouilles dans La Nuit au Musée, Stardust puis La Ville Fantôme – au même moment, la saison 2 d’Extras met en scène une version pourrie de The Office, “fantasmant“ avec force malaise sur un personnage totalement vendu, sans prise sur ses créations… C’est l’une de ses caractéristiques majeures : l’affinement permanent entre fiction et réalité, entre ses rôles et son personnage public. Qu’on se rassure, cette simili errance n’aura duré qu’un temps. Ricky Gervais a repris le contrôle, est remonté sur scène avec un show solide (Fame), a sublimé un pitch correct (The Invention of Lying), et va nous révéler d’ici peu sa seconde réalisation, Cemetery Junction.

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