Policier, adjectif

Un flic ordinaire, une enquête sans envergure, un cas de conscience a priori anecdotique ; avec pas grand-chose mais une foi démente dans la puissance du cinéma, Corneliu Porumboiu signe un polar qui joue sur les mots, vrais coupables de ce film passionnant. Christophe Chabert

Un policier, c’est un individu avec des états d’âme. De manière plus littérale, c’est à la fois un nom commun et un adjectif, comme dans «film policier», ce que "Policier, adjectif" n’est que superficiellement. Le film de Corneliu Porumboiu (souvenez-vous, l’excellent "12h08 à l’est de Bucarest", c’était lui) est plutôt une affaire de mots ; on y passe plus de temps à ergoter sur leur sens que sur l’enquête au centre de l’intrigue. D’ailleurs, pendant ses cinquante premières minutes, il ne se passe à proprement parler rien : un flic ordinaire (Dragos Bukur, le beau gosse du cinéma roumain) suit des ados pour une vague histoire de shit, rentre au commissariat écrire ses rapports, retrouve son appartement glauque et s’engueule avec sa femme à propos des paroles d’une chanson… Porumboiu, fidèle à la doxa du nouveau cinéma roumain, filme ce quotidien morose en longs plans-séquences à juste distance des personnages, inscrivant l’action dans un monde dont le réalisme paraît d’abord terne, mais auquel l’attention portée aux détails offre un singulier relief. La puissance de la mise en scène se mesure ici : une dame qui sort son chien, un graffiti sur un mur ou un casier qui ferme mal prend soudain une importance considérable pour le spectateur. En d’autres termes, "Policier, adjectif" nous rappelle que le cinéma, c’est d’abord un verre grossissant qui permet d’affiner notre regard sur le monde.

La dialectique du flic

À la moitié du film, on se demande quand même où tout cela veut en venir… Derrière les filatures derrickiennes de ce flic blasé, on sent l’ironie pointer. La peinture d’une bureaucratie tatillonne qui a toujours une bonne raison pour ne pas faire les choses quand on les lui demande, la puissance d’une hiérarchie invisible et un indice discret placé dans une séquence a priori anodine (le changement de genre d’un mot dans la grammaire roumaine) laissent entendre que quelque chose d’autre se joue dans le film. Pour ne pas trop en dire — c’est pourtant la grande affaire de Porumboiu — posons seulement le fait que l’intrigue ne sera pas résolue avec une arrestation mais avec un dictionnaire, lors d’une scène absolument hallucinante, vingt minutes d’arguties linguistiques et de maïeutique biaisée. Il en ressort deux choses : la condition policière est absurde lorsqu’on prétend réfléchir plutôt que d’appliquer béatement la loi ; et il y a un certain génie du cinéma roumain pour rendre passionnant ce qui, sur le papier, ferait fuir n’importe quel producteur normalement constitué.

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