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Blog : Cannes, jour 4 : Vive la fin du monde !

Another year de Mike Leigh. You will meet a tall dark stranger de Woody Allen. Kaboom de Greg Araki.

 Au quatrième jour, on peut le dire : la compétition ronronne. En témoigne le très inutile film tchadien de Mahamat-Saleh Haroun, Un homme qui crie, dont l’argument très lâche n’est pas vraiment aidé par une mise en scène inutilement contemplative et surtout une interprétation au bas mot catastrophique. En revanche, il va falloir se préparer à ferrailler autour d’Another year de Mike Leigh, très bien accueilli et que certains n’hésitent pas à qualifier de chef-d’œuvre. J’ai simplement détesté le film, à presque tous les niveaux. Déjà, Leigh a une fâcheuse tendance à clamer du premier au dernier plan qu’il tourne ici sa grande œuvre, alors qu’elle n’est qu’une asphyxiante démonstration de maîtrise écrasant tout sur son passage, à commencer par ses personnages. Si la réalisation est élégante, la mise en scène est la plupart du temps purement théâtrale : tout passe par le texte et Leigh ne garde au montage que les personnages qui parlent, jamais la réaction de ceux à qui ils s’adressent, ce qui en dit long sur son sens de l’altérité. Les acteurs n’ont pas d’autre choix que de grimacer pour exister, dans un pénible surjeu qui se voudrait à fleur de peau, mais qui n’est que le reflet du regard méprisant du cinéaste sur les êtres qu’il emprisonne dans son récit. Car Another year est un exercice de manipulation émotionnelle particulièrement retors : les deux personnages centraux sont un couple a priori dévoué, des bourgeois humanistes à l’écoute de leur entourage. Mais c’est Mary, secrétaire célibataire, vieillissante et hystérique, qui focalise l’attention de Leigh. On pense d’abord être en face d’une cousine éloignée de Poppy, l’héroïne du précédent Mike Leigh, une militante forcenée du bonheur et de la joie de vivre dont l’enthousiasme est aussi une source d’embarras pour son entourage. Mais là où Poppy apprenait à encaisser les coups pour trouver un équilibre social et amoureux, Mary va être la victime désignée de la cruauté de son cinéaste. Plus les saisons passent, plus le film la maltraite, jusqu’à la dégrader physiquement (cernes énormes, cheveux gras, rides marquées). Le film converge vers cette terrible conclusion : la parquer définitivement dans sa solitude, tout en la culpabilisant. Une société normative détruit-elle ses enfants les plus turbulents en essayant de leur apprendre la responsabilité ? Ce pourrait être un discours passionnant, mais Leigh préfère laisser rôder dans Another year un vieux fond moralisateur, se permettant tout (y compris un assez odieux suspense autour d’un décès) tant que cela sert ses ambitions d’artiste surplombant et sûr de son bon droit. Il aura peut-être la palme à l’arrivée ; après tout, il ne manquerait plus que ce cinéma démagogique rate son objectif (nous, on s’en frotterait les mains !). Après cette purge, le Woody Allen a fait figure de bol d’air. Il faudra revenir sur ce film en apparence assez léger, à la limite de l’anodin, mais qui nous est revenu par bouffées tout au long de la journée. You will meet a tall dark stranger a tout de la comédie de mœurs allenienne, avec maris, femmes, maîtresses, marivaudage… Mais la comédie, souvent, se bloque dans une sécheresse qui rappelle celle de Match Point, et risque à tout instant de basculer dans le drame. Le récit est à la fois fluide et elliptique, les situations sont drôles mais l’amertume et le ratage ne sont jamais très loin. Le film est aussi attachant car, à la différence de beaucoup d’autres vus à Cannes, il ne choisit pas d’opposer les générations, mais de les mélanger dans un joyeux bordel où ce sont les lunatiques qui triomphent sur les rationnels, où la fantaisie permet d’avancer alors que le sérieux ne conduit qu’à des impasses. Quant au casting, il est tout bonnement fabuleux : Anthony Hopkins, Josh Brolin, Naomi Watts, Antonio Banderas et la révélation Lucy Punch en pute transformée en bourgeoise dépensière… Pas mal, vraiment pas mal, ce Woody Allen, finalement ! À Un Certain regard, la baudruche Xavier Dolan, qui avait cartonné à la Quinzaine l’an dernier avec J’ai tué ma mère, s’est dégonflé instantanément à la vision du grotesque Les Amours imaginaires. Dolan, post-ado québécois, se rêve en un mixte de Godard et de Wong Kar-Wai, et pense livrer le film définitif sur la culture gay contemporaine, mais il atterrit plutôt du côté de Christophe Honoré (le clin d’œil final est éloquent !), vers un cinéma poseur et maniériste, fier de ses effets, masquant à grand peine le fait qu’il n’a tout simplement rien à dire. À l’opposé de ce navet surfait, un grand film queer a illuminé la journée : Kaboom de Greg Araki, presque un claquage de beignet comme diraient nos amis de Zonebis. Difficile de raconter ce truc délirant, pop, foisonnant, hilarant et complètement chtarbé, qui ressemble à un pilote de série télé pour ados sous forme de comédie sexuelle transgenre, que le cinéaste aurait bouclée en se laissant aller à un grand n’importe quoi jouissif et fun. Des répliques cultes («J’ai connu des frottis vaginaux qui duraient plus longtemps» dit la charmante London après un coït particulièrement bref), un esprit 80’s dans la forme comme dans le fond, et même une pointe de mélancolie : le héros fait des études de cinéma et affirme, sur des images d’Un chien andalou (libres de droit : Araki assume son statut de pirate !) qu’il veut faire des films en sachant que dans quelques années, le cinéma n’existera peut-être plus. Araki fait pareil : il signe un film joyeusement impur, au croisement de la télé, de l’art vidéo et du bricolage potache où la fin du monde ressemble à s’y méprendre au crépuscule d’un art. Mais Kaboom orchestre cette apocalypse dans la joie et l’explosion sexuelle, une bonne humeur contagieuse qui fait du bien dans un festival un peu trop sérieux pour le moment.

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