Blog : Cannes, jour 6 : Le spectateur brutalisé

La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier. R U There de David Verbeek. Biutiful d’Alejandro Ganzalez Iñarritu. Outrage de Takeshi Kitano.

 24 films, ça commence à être suffisant pour faire un début de bilan. Globalement, Cannes 2010, c'est pas ça. La compétition officielle est décevante, Un certain regard en dessous des attentes, et les meilleurs films sont parfois en séance spéciale (Kaboom, Draquila) ou hors compétition (le Woody Allen, rare film à se bonifier avec le temps). En sortant de La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier, cruel exemple, on se disait que les sélectionneurs n'avaient vraiment pas eu grand chose à se mettre sous la dent pour retenir ce film poussiéreux, qui dissimule mal son académisme pantouflard derrière une caméra en mouvement (mais pourquoi ?) et le renfort d'une jeunesse dont il ne sait quoi faire, laissant toutes les bonnes scènes à Michel Vuillermoz et la morale ronflante au personnage de Lambert Wilson. Catastrophe totale ! Niveau rien du tout, R U There du Hollandais David Verbeek n'était pas mal non plus. Sur le thème déjà saccagé par Hideo Nakata des rapports entre les jeunes et les mondes virtuels, Verbeek réussit l'exploit de faire encore plus bête. En effet, le héros du film, un gamer en tournoi à Taiwan, va redécouvrir le goût des vraies valeurs au contact de la nature et des gens authentiques. Pour bien enfoncer le clou, le cinéaste juxtapose le hideux absolu (le monde virtuel) et la contemplation facile (un bout de jungle sauvage que la caméra parcourt au rythme d'un vélosolex rouillé). À ce degré-là, on a envie de hurler : foutez leur la paix, aux jeunes, si vous les détestez tant, et foutez nous la paix, aussi, plutôt que de nous faire des leçons. Mais le pire restait à venir, et il s'appelle Biutiful, de notre copain Iñarritu. Déjà, le garçon a de l'humour pour appeler son film "Bô" (traduction personnelle) tant il s'agit d'un grand robinet à dégueulasseries, où rien ne nous sera épargné ; absolument rien ! Jets de pisse sanglante, crachats, gazage collectif, cafards au plafond, enfants battus, cadavre déterré... La complaisance perverse et sulpicienne du cinéaste envers le malheur, la crasse et la maladie prend ici tout l'espace d'un film où le calvaire du personnage (Javier Bardem, enlaidi au point de ressembler sur la fin à un vieux buffle écorné) est aussi celui du spectateur. C'est dit à un moment : pour Iñarritu, la vie n'est qu'un long tunnel sombre et la mort une délivrance que l'on doit souhaiter la plus rapide possible. On peut mettre en doute la sincérité de tout cela, car si vraiment le cinéaste croyait à ses balivernes morbides et sournoisement chrétiennes, cela ferait longtemps qu'il aurait abrégé ses souffrances et ne courrait plus après les Palmes (d’ailleurs, plutôt que de la lui donner comme la presse le réclame déjà, on pense qu’un bon tube de Prozac pourrait faire l’affaire…). Biutiful, pour parfaire le tableau, dresse aussi un catalogue à peu près exhaustif de la misère sous toutes ses formes : sans papiers, cancer, travail clandestin, comme s'il suffisait de bourrer un film de références à l'actualité pour faire œuvre politique. C'est littéralement à gerber, et osons le dire haut et fort, Biutiful est tout simplement un gros navet. À sa manière, Takeshi Kitano aussi brutalise le spectateur. Outrage est un film peu aimable, loin de ceux qui ont fait la réputation du cinéaste en France (de Sonatine à Hana-Bi). En apparence pourtant, ce retour au film de yakuza est une reprise de la marque Kitano : violence désespérée, humour noir et absurde, suspension du temps, frontalité des cadres. Mais on ne trouvera ici nulle poésie, aucune psychologie, aucune identification métaphysique. Outrage est un collage de scènes où l'autorité s'exerce dans toute son aveugle brutalité, avec comme seule finalité de se conforter elle-même. L'intrigue est remplacée par une logique de dominos sanglants, et chaque séquence ressemble à la précédente, la progression étant assurée par le crescendo de la violence. Le premier plan est un long travelling qui balaie une trentaine de yakuzas ; quand elle arrive au visage figé et balafré de Kitano, on pense qu'elle va arrêter sa course, désignant le protagoniste de la fiction à venir... Mais non, elle continue de saisir d'autres visages. Ce n'est pas une astuce : aucun personnage ne supplante les autres, car tous peuvent tuer et tous doivent mourir. Ce désir jusqu'au boutiste de ne donner au spectateur aucune prise rassurante sur le récit est risquée, pas forcément payante, mais d'une rage et d'une sincérité tout à l'honneur de Kitano. Lui fuit les récompenses, n'a plus rien à prouver, et le fait savoir dans ce film âpre, extrêmement théorique et dans le fond, salutaire face à la démagogie ambiante.

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