Blog : Cannes, jour 10 : Désordres

Hors la loi de Rachid Bouchareb. Tender son de Kornel Mundruczo.

 À peine débarqué sur la Croisette aux aurores, on a senti que l’ambiance avait changé. Il faut dire que le nez dans le cinéma, on oublie assez vite que l’actualité continue, et qu’elle finit par rejoindre parfois les films présentés ici. On parle bien sûr de l’affaire Hors la loi qui a entraîné un pénible désordre avec hordes de gendarmes, de CRS et de militaires à chaque coin de rue, fouilles particulièrement musclées à chaque entrée dans le palais, provoquant des queues interminables et quelques retards dans le programme. Déjà crevé par dix jours intenses, ce cirque a eu tendance à mettre les nerfs à vif, et on n’était pas mécontent de rentrer à l’hôtel ce soir — pas de bol, un accident nous a fait mariner pendant une heure avant d’y arriver ! Ça s’appelle la poisse…

D’autant plus que le film a fait figure de double peine. Car Hors la loi est (encore !) un navet, achevant de plonger dans le ridicule une compétition déjà lassante de médiocrité. Le scandale, car il y en a un, c’est l’académisme insupportable de cette fresque qui n’a d’épique que la prétention, et qui traduit un manque d’inspiration manifeste de la part de Rachid Bouchareb. Si Indigènes séduisait par son désir de donner à un épisode oublié de l’Histoire un grand film populaire digne de ceux tournés pour célébrer la Résistance française, le cinéaste se viande complètement ici en plongeant dans un didactisme forcené et une mise en scène qui ne fait que plagier les pires scories de l’entertainement hollywoodien. La polémique est née de l’évocation en ouverture du massacre de Sétif ; on accuse Bouchareb d’avoir exagéré la réalité du nombre de morts algériens (et sous-estimé les morts du côté de l’armée française). Ce reproche est hélas fondé, mais cela n’a rien à voir avec des questions de statistiques : c’est bien de cinéma dont il s’agit. Il faut voir les manifestants bien propres, sages et rangés dans la rue, avec de grands plans à la grue pour rendre encore plus lyrique leur cause, puis la manière dont Bouchareb fait surgir un flic français tout en noir, arme au poing et visage patibulaire, prêt à exécuter sommairement un Algérien pris au hasard, pour comprendre que la course à l’effet efficace se commue en balourdise irresponsable.

Tout le film oscille entre ridicule absolu (la chef costumière semble avoir fait une razzia chez un loueur de déguisements spécialisés dans le film noir, tant chaque vêtement semble sortir du pressing), dialogues sentencieux (dès qu’un personnage s’exprime, c’est pour faire une grande déclaration historique), détails craignos (les femmes sont réduites à un silence absolu dans le film, potiches sans aucune motivation), et scènes spectaculaires au-delà du ratage (dont une fusillade dans le noir où l’on ne sait jamais qui tire sur qui !). Les acteurs jouent comme des cochons, et la musique copie sans vergogne la BO de The Dark knight, ce qui en dit long sur l’ambition de Bouchareb. Sans oublier des clins d’œil malvenus à l’actualité, comme cette pub Kärcher qu’on entrevoit à l’arrière-plan au cours d’une scène dans le métro. D’ailleurs, c’est là que le film dérange aussi.

On a le sentiment que Hors la loi est un vaisseau amiral dont la finalité n’a plus grand chose à voir avec le cinéma, comme si le succès politique d’Indigènes avait ouvert au cinéaste la voie vers de nouvelles revendications, nettement moins légitimes (veut-il qu’on reconnaisse les militants du FLN comme des martyrs !). Mais on insiste : le film est surtout une purge indéfendable, le blockbuster français le plus empesé et lourdingue depuis Germinal de Claude Berri.

L’avant-dernier film en compétition, troisième repêché de la sélection, nourrissait quelque espoir de rattraper le désastre du matin. Tender son, the Frankenstein project du cinéaste hongrois Kornel Mundruczó commence bien (même très bien), avec une demi-heure intrigante où Mundruczó, dans son propre rôle, fait passer des essais à des comédiens non-professionnels pour son prochain film, et finit par créer un monstre, un ado monoexpressif qui refuse de se laisser toucher avant de tuer sa partenaire. L’idée est géniale : adapter Frankenstein en faisant d’un metteur en scène le docteur fou et d’un acteur innocent le monstre. Comme Mundruczó n’est pas un manche avec sa caméra et qu’il a un certain humour, ce début est à la fois fascinant visuellement et plaisant dans son écriture.

Mais après, plus rien ! Le film patine dans le contemplatif creux, Mundruczó se regardant filmer en se félicitant lui-même d’être un si grand cinéaste, et laisse filer son intrigue jusqu’au néant total. Même les éclairs de violence (dont un vilain emprunt au Caché de Haneke) ne réussissent pas à sortir le spectateur de la torpeur dans laquelle il s’enfonce. Un certain ras-le-bol s’est fait sentir pendant la projection de presse, et les sifflets qui ont accueilli le générique de fin signifiaient l’insatisfaction générale ressentie par des festivaliers éprouvés, visiblement contents de sentir la proximité de la quille !

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