Tournée

Débordant de vie, avec tout ce que cela comporte d’euphorie, de déprime, de coups de cœur et de coups de gueule, Tournée est avant tout un film de flux et de fluides. On y suit une troupe de New Burlesque (cinq filles, un mec) drivée à travers la France par Joaquim Zand, autrefois producteur star à la télé, aujourd’hui has been, mauvais père et ex-mari : c’est le flux de départ, son trajet principal. Mais d’autres lignes viendront croiser ce parcours : Joaquim qui se rend à Paris dans l’espoir d’y trouver une salle pour accueillir le spectacle et qui ne fait que se prendre des gnons et des portes claquées ; ou cet ultime embranchement qui conduit le groupe vers un hôtel désaffecté, lieu d’utopie et d’apaisement, copie fantôme de ceux dans lesquels il a passé une partie de sa tournée. Les flux sont aussi des flux d’amour, souvent incontrôlés : un quickie avec un informaticien dans les toilettes pendant un mariage vietnamien ; une conversation aussi touchante qu’hilarante avec une vendeuse de station-service ; ou sa réplique cauchemardesque, une engueulade avec une caissière de supermarché un peu trop fascinée par la mise à nu de ces filles à la beauté paradoxale.

Quant aux fluides, ils sont le carburant d’un film qui boit, baise et pleure en toute liberté et sans tabou. La fluidité est aussi le moteur de la mise en scène, qui orchestre avec grâce toutes ces circulations : des coulisses à la scène, du réel à la fiction, de l’intime au public. Mathieu Amalric, acteur-réalisateur trouvant ici une nouvelle stature au sein du cinéma français, remplit à ras bord Tournée d’une énergie et d’une inventivité peu communes. Tout renvoie au plaisir généreux du spectacle sur l’écran : les tics déments de Joaquim (la musique, les bonbons) et ses maladresses, la joyeuse impudeur avec laquelle les filles prennent possession des lieux qu’elles traversent pendant et après leurs numéros, l’irruption dans le récit de quelques spectres inquiétants (un animateur télé, un vieux directeur de théâtre)…

Au terme du trajet, les stéréotypes auront volé en éclats (même Ulysse, le roadie un peu effacé, aura eu droit à son moment de grâce le temps d’une superbe reprise de Radiohead), et une communauté se sera créée sous nos yeux. Une communauté précaire, boiteuse, incertaine. Vivante, quoi !
Christophe Chabert

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 28 mars 2023 Un nom douillet, une verve grivoise, crue, parfois joliment obscène : Doully — celle qui surnomme son public « ses p’tits culs » — passe deux fois en région ce mois-ci, nous voici ravis.
Lundi 15 mai 2017 Le concert de Grandaddy du mardi 6 juin au Transbordeur est annulé. Les Californiens déprogramment toutes les dates de leur tournée, suite (...)
Mardi 13 décembre 2016 Si la plupart des théâtres, comme chaque année, ferment le soir du 31 décembre, l'Iris (avec le clown loufoque Philippe Goudard), l'Instant T., le Fou et le (...)
Mardi 19 mai 2015 Conçu comme un prequel à "Comment je me suis disputé...", le nouveau et magistral film d’Arnaud Desplechin est beaucoup plus que ça : un regard rétrospectif sur son œuvre dopé par une énergie juvénile, un souffle romanesque et des comédiens...
Mardi 13 mai 2014 Comme un contre-pied à "Tournée", Mathieu Amalric livre une adaptation cérébrale, glacée et radicale d’un roman de Simenon, où l’exhibition intime se heurte au déballage public, laissant dans l’ombre le trouble d’un amour fou et morbide....
Mardi 25 février 2014 Avec "The Grand Budapest Hotel", Wes Anderson transporte son cinéma dans l’Europe des années 30, pour un hommage à Stefan Zweig déguisé en comédie euphorique. Un chef-d’œuvre génialement orchestré, aussi allègre qu’empreint d’une sourde...
Mardi 25 février 2014 De Sophie Fillières (Fr, 1h42) avec Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric…
Vendredi 10 janvier 2014 Derrière une intrigue de polar conduite avec nonchalance et un manque revendiqué de rigueur, les frères Larrieu offrent une nouvelle variation autour de l’amour fou et du désir compulsif. Si tant est qu’on en accepte les règles, le jeu se révèle...
Mercredi 6 novembre 2013 Une actrice, un metteur en scène, un théâtre et "La Vénus à la fourrure" de Sacher-Masoch : un dispositif minimal pour une œuvre folle de Roman Polanski, à la fois brûlot féministe et récapitulatif ludique de tout son cinéma. Christophe Chabert
Mercredi 4 septembre 2013 Changement d’époque et de continent pour Arnaud Desplechin : dans l’Amérique des années 50, un ethnologue féru de psychanalyse tente de comprendre le mal-être d’un Indien taciturne. Beau film complexe, Jimmy P. marque une rupture douce dans l’œuvre...
Lundi 4 juin 2012 C’est un véritable show qui va s’installer pour dix jours aux Célestins : Catherine D'Lish, Dirty Martini, Julie Atlas Muz, Kitten on the Keys et Mimi Le (...)
Vendredi 21 octobre 2011 Dans Poulet aux prunes, Marjane Satrapi fait mieux que transformer l’essai de Persépolis : avec son comparse Vincent Paronnaud, ils retranscrivent en prises de vue réelles l’imaginaire débordant de ses bandes dessinées, en gorgeant les images...
Mercredi 23 juin 2010 Acteur prodige dont la réputation déborde aujourd’hui les frontières françaises, Mathieu Amalric signe avec "Tournée" son quatrième — et meilleur — film en tant que réalisateur. Rencontre. Propos recueillis par Christophe Chabert
Lundi 17 mai 2010 Après l'édition très rock'n'roll de l'an dernier, le festival de Cannes 2010 semble avoir choisi la rigueur pour sa sélection. Du coup, ce sont les films fous et les cinéastes faussement sages qui raflent la mise. Christophe Chabert
Vendredi 12 mars 2010 Musique / Que demande Le Peuple au tournant de son cinquième album ? Toujours de l’herbe, bien sûr, mais aussi de la sève. Des racines cuivrées, des beats (...)
Vendredi 10 juillet 2009 D’Arnaud et Jean-Marie Larrieu (Fr, 2h10) avec Mathieu Amalric, Karin Viard… (sortie le 19 août)
Vendredi 6 février 2009 Musique / Fer de lance depuis 2003 de l’accompagnement des musiciens rock locaux, Dandelyon n’est plus. «Découvreuse» de talents tels que Coming Soon ou (...)
Mercredi 21 mai 2008 Avec cette tragi-comédie familiale aux accents mythologiques, Arnaud Desplechin démontre à nouveau qu’il est un immense cinéaste, entièrement tourné vers le plaisir, le romanesque et le spectacle. Christophe Chabert
Mercredi 19 septembre 2007 L'adaptation par Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval du livre de François Emmanuel en diminue un peu l'impact, mais conserve l'essentiel : sa réflexion sur la naissance d'une langue technique au service de toutes les injustices. Christophe Chabert
Mardi 30 novembre 1999 Arnaud Desplechin creuse la veine romanesque de son cinéma avec ce double récit aux connexions discrètes où cohabitent tragédie et comédie, fantaisie et rigueur, pur plaisir de la mise en scène et virtuosité du langage. Christophe Chabert

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X