Lumière 2010 : partie 2 Tout ce qui est rare…

L’édition 2010 de Lumière, dont on peut d’ores et déjà dire qu’elle est un grand succès, se sera démarquée par l’excellence des films qui y ont été présentés. Il fallait voir la séance de Psychose au Comœdia vendredi, dans une copie HD au son spatialisé à pleurer de beauté, devant une salle archi-comble et recueillie face à ce chef-d’œuvre inoxydable, pour mesurer à quel point le cinéma classique n’est pas une chimère cinéphilique mais une réalité vivante, dont les monuments ne cesseront jamais d’être découverts ou redécouverts.
Évidemment, le but était avant tout de faire sa provision de raretés dans la programmation. Parlons donc de deux films tout à fait surprenants, et ô combien différents. Le Joeur d’échecs était le film présenté pour rendre compte de la période muette de Raymond Bernard. Le choix est judicieux : en 2h15, Bernard s’offre un assez réjouissant pot-pourri de culture populaire. De la romance, de l’Histoire (la libération de la Pologne), de la guerre, et même du fantastique, à travers ce fabriquant d’automates qu’on croirait échappé d’un film expressionniste allemand. Le film est surtout sidérant dans ses scènes d’action, grandes batailles avec des figurants partout, que Bernard met en scène avec des audaces dans la réalisation et dans le montage très en avance sur son temps. La caméra s’enfonce au milieu des combattants, pendant qu’en montage alterné de stupéfiants plans-tableaux récapitulent l’action. Impression confirmée à la vision des Croix de bois, un film parlant de Bernard sur la guerre des tranchées, incroyablement proche du quotidien des soldats, de leur attente et de leur désespoir. Le tout, là encore, mis en scène avec un mélange d’ampleur (grands travellings au-dessus des tranchées, surimpressions folles entre les soldats vivants et les morts portant leur croix) et de sécheresse, une forme de réalisme qui évite le pathos mais pas l’émotion, très forte lors des scènes finales. Effectivement, Raymond Bernard méritait d’être sorti de son oubli…

Deuxième curiosité du côté de l’Amérique des années 70, avec The Heartbreak kid de Elaine May. Film introuvable, peu vu, pas franchement connu, sinon par le remake des frères Farelly. Si, effectivement, les deux frangins ont repris l’argument et les péripéties du film original, ils ont tiré l’ensemble vers leur style ouvertement burlesque et grinçant, alors qu’Elaine May choisit un ton doux-amer qui, finalement, la rapproche plutôt du James Gray de Two lovers. Le film s’attache ainsi à confronter la petite bourgeoisie juive new-yorkaise et la grande bourgeoisie WASP de Minneapolis (avec en point de rencontre la superficialité friquée de Miami), comme une source conjointe de fantasmes et d’incompréhensions. Ce qui est proprement extraordinaire dans The Heartbreak kid, c’est la justesse de l’écriture et de la direction d’acteurs, surtout quand le film s’embarque dans l’exercice casse-gueule de la discussion en plan-séquence fixe autour d’une table. Exemplaire : la déclaration du héros aux parents de sa nouvelle aimée, avouant d’un bloc qu’il vient de se marier, qu’il a commis une erreur et qu’il va s’empresser de la réparer pour convoler avec leur fille. Débité d’un trait ou presque par un fantastique Charles Grodin, le monologue est suivie par la réaction du paternel, qui lui remet les pieds sur terre, froidement réaliste face à une situation il est vrai absurde. May sait aussi prendre son temps pour montrer la naissance du désir physique, mais aussi le dégoût qui peut s’emparer de quelqu’un face à la personne dans son lit. Un très grand film, une très belle redécouverte.

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