Sous toi, la ville

Chef de file de la «Nouvelle vague berlinoise», Christoph Hochhäusler abandonne le minimalisme et affiche ses ambitions en racontant la chute d’un banquier puissant sous le coup d’une passion charnelle. Fort et violemment d’actualité. Christophe Chabert

«Ça commence». Ce sont les deux derniers mots prononcés dans "Sous toi, la ville", et ce n’est pas qu’un paradoxe. Qu’est-ce qui commence, au juste ? On voit à l’écran des passants paniqués courir tous dans le même sens, comme si quelque chose s’écroulait en face d’eux. Cette menace reste hors champ, mais quelque chose a visiblement explosé à l’écran, une tension jusqu’ici contenue dans les plans implacables de Christoph Hochhäusler. Dans une mise en scène glaciale et cérébrale proche du cinéma d’Haneke, "Sous toi, la ville" raconte la passion physique entre Roland Cordes, banquier d’affaires puissant officiant dans les buildings de verre berlinois et la jeune Svenja, éditrice de livres photographiques dont le mari travaille sous les ordres de Cordes. Ils se rencontrent lors d’une conférence dans un musée d’art contemporain. Cordes, qui contrôle sa vie comme il dirige sa banque, va tout mettre en œuvre pour rendre la liaison possible : mutation du mari, mise en scène des rencontres dans des hôtels de luxe, invention d’un passé pour gommer son image de maître du monde. Mais Svenja n’est pas une oie blanche victime du désir d’un financier pour qui tout peut être possédé. Dès la première scène, on la voit suivre une femme qui porte le même chemisier qu'elle, l'accompagner dans une boulangerie, acheter un chou dans lequel elle croque avant de le recracher… Si le mystère de cette séquence reste entier, elle en dit long sur l’instabilité de Svenja, mais aussi sur les arrières mondes invisibles qui habitent le film. À l’image d’une bande-son impressionnante, mélangeant musique électronique bourdonnante et rumeur urbaine, un volcan gronde derrière la froide maîtrise de l’image.

Lutte des corps

Qui mène ce bal charnel ? Et surtout, qui ment ? Cordes, qui paye de faux voisins de sa soi-disant famille pauvre ou un junkie seulement pour le regarder se shooter ? Ou Svenja, qui synthétise les deux en lui racontant qu’elle était accro à l’héroïne avec un boyfriend hippie dans sa jeunesse ? L’important, c’est de faire trébucher l’autre, mais cette chute n’est pas que littérale ; elle est aussi symbolique. Le haut contre le bas (scène formidable où les deux amants se parlent au téléphone séparés par des dizaines d’étages), l’élite contre le peuple, la finance contre l’art : il faut que quelque chose tombe pour réconcilier des univers qui se cognent sans se rencontrer. C’est cela qui «commence» à la fin : une révolution des corps qui entraîne une révolution des consciences.

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