AGORIA

La nuit lyonnaise et l’évolution de la scène électro vue par le producteur et Dj que le monde entier nous envie. Propos recueillis par Stéphanie Lopez

La scène lyonnaise en 1997, c'était...

AGORIA : Très difficile en terme de jouissance et de communion électronique. On était en pleine vague de répression, même si quelques lueurs pointaient. C'était l'époque des rendez-vous sur une aire d'autoroute, des infolines, des vers luisants à la recherche d'un lieu de festivités qui parfois n'existait pas. C'était l'époque où les commissions de sécurité annulaient une soirée techno, même en club, sous prétexte qu'une prise de courant était trop proche d'un évier ! C'était frustrant et donc excitant. Cela a formé des irréductibles devenus pour la plupart des collègues ou amis. Un acteur majeur de cette période est Cyrille Bonin. En créant Kubik, il a distribué des disques techno du monde entier, mais aussi des artistes rhônalpins. Kubik était une sorte de coopérative, un village gaulois, qui oeuvrait pour la défense d'un Michigan français. On se retrouvait dans un hangar de la zone industrielle de Corbas avec Kiko, Oxia, The Hacker, Miss Kittin, Miloch, Strat, P.Moore, Marc Twins, Pat du Peuple de l'Herbe et d’autres petites gloires locales. On écoutait des vinyles de Detroit, les nouveaux Underground Resistance, on parlait des exploits du week-end, on se chambrait… Enfin c'était surtout eux qui me chambraient ! C'était le boum de Goodlife à Grenoble, d’UMF et Kubik à Lyon, Tekmics à Annecy, Mental Groove à Genève, Ozone à Valence. Pour ceux qui ont vingt ans aujourd’hui, je dirais que Kubik était une sorte de beatport humain, en plus fun et un peu plus champêtre. C'était aussi l'époque où il y avait cinq magasins de disques électro à Lyon : Galaxy, Independance, Prolight, Rythm records et la Fnac. (Et peut-être déjà Eardrum et Extra Records mais j'ai un doute là). Nous faisions tous beaucoup de musique car nous ne jouions pas beaucoup en soirées. Du coup on avait du temps, et c'est sans doute pour cette raison, d’ailleurs, que de nombreux artistes techno sont issus de la région Rhône-Alpes. 1997, c'était également The Kick, un fanzine techno initié par Patrice Moore, St Jean et Strat. C'était des émissions techno de qualité sur radio Espace, avec notamment Freddy J le dimanche soir. Un must. Enfin, c'était l’année de la création de Technopol, l’association fondée par Patrice Moore (encore) et de Borealis (rave annuelle et mythique des années 90), qui essayait de défendre les organisateurs contre les abus autoritaires des préfectures. Ces dernières avaient peur des rassemblements de masse incontrôlés. Parfois avec raison.

Treize ans après, au vu du chemin parcouru, on peut dire que...

Lyon n'a pas encore de réelle culture club suite à cette vague de répression, qui a laminé toute une génération de joyeux entrepreneurs. Mais la scène lyonnaise est en train de s’en donner les moyens. Aujourd'hui de nombreux acteurs, bien organisés, motivés, aidés, font de plus en plus de choses intéressantes. Ils ont surtout commencé à éduquer une nouvelle génération. Nuits Sonores, Hypnotik, le DV1, L'ambassade, le Sound Factory, la Marquise essaient tous de dynamiser les nuits lyonnaises à leur manière. Et ils semblent y parvenir. Un nouveau club à Lyon ? C'est une sorte d'Arlésienne ! Mais je crois que le public lyonnais connait mieux la musique électronique aujourd’hui ; il est devenu plus pointu. Un autre point clairement positif est le soutien de la région et de la ville aux producteurs de disques et aux organisateurs de soirées. Cela augure de belles heures pour la scène lyonnaise…

Si les choses ont réussi à bouger, c'est notamment grâce à...

Grâce aux personnes passionnées qui ont cru en leur projet, coûte que coûte, et qui ont foncé. Peu importe les détracteurs. Do it ! C'est une question d'énergie, autant que d'opportunités. Et bien souvent l'un va de paire avec l'autre. Le changement des mentalités politiques au début des années 2000 a également aidé, la clairvoyance de Gérard Collomb à l'égard des Nuits Sonores est un bel exemple. Je suis bien obligé de parler une minute des Nuits Sonores, puisque c’est un projet que j'ai en partie initié. C'est la rencontre de cinq passionnés de musique qui se découvrent (Cécile, Fréderique et Violaine d'Arty Farty + Vincent Carry et moi), qui militent pour un vrai projet artistique, et qui font tout pour que ce projet aille au bout. Sincèrement, je n'aurais jamais cru que le festival prendrait une telle ampleur. J’étais là à la genèse du projet, je ne suis donc pas pour grand chose dans sa réussite globale. Cette réussite tient en grande partie aux convictions du bureau d'Arty Farty et de Vincent Carry. Je pourrais également citer Jarring Effects, que je connais moins car ce n'est pas réellement ma scène musicale, mais ils ont évidemment fortement contribué au dynamisme lyonnais de cette décennie. Tant avec leur label, leurs groupes (High Tone, Ezekiel...) que leur festival Riddim Collision.

Les soirées lyonnaises qui t'ont le plus marqué ces treize dernières années ?

Celle qui m'a le plus marqué est totalement anecdotique au regard de l'histoire de la nuit lyonnaise. Et c’est sans doute pour cela que je l'aime autant. C'est une rave qui portait bien son nom, Osmoze, et que mon ami Dimitri (fantastique organisateur des années 90) avait mis sur pied. Il avait créé le collectif Bande Sonore, qui regroupait plusieurs Dj’s. L'atmosphère d’Osmoze a été électrique de la première à la dernière seconde. Sans explications. Juste l'instant et le plaisir partagé de 500 ou 600 danseurs. Sinon évidemment, toutes les éditions des Nuits Sonores et des Echos Sonores sont très présentes dans ma tête... mais ai-je vraiment besoin de le préciser ?

Question complémentaire, spéciale numérologie : les disques que tu as joué au moins 600 fois depuis que tu es DJ ?

Orlando Voorn, Fix.
Inner City, Good Life.
Earth People, Dance.

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