Cassavetes, fondu au noir

Film du mois dans la Ciné-collection du GRAC, "Gloria" défie les idées reçues sur le cinéma de John Cassavetes, puisque le cinéaste s’y plie à la loi du genre. Christophe Chabert

En 1980, quand "Gloria" remporte le Lion d’or à la Mostra de Venise, John Cassavetes est déjà au crépuscule de sa carrière. Curieuse reconnaissance : "Gloria" est d’évidence un film de commande. On sent le cadeau fait à son épouse Gena Rowlands, qui trouve ici un superbe rôle de femme forte, tenant tête aux hommes les plus durs tout en révélant un complexe instinct maternel. Mais on voit tout autant la manière dont Cassavetes investit un genre, le film criminel, et essaye de ne pas trop s’éloigner de ce cadre rigoureux. Il suffit de comparer "Gloria" à "Meurtre d’un bookmaker chinois", dont l’argument aussi relevait du film noir, pour sentir que le cinéaste a bridé sa manière si particulière de mettre en scène. Ou presque…

La tueuse à l’enfant

L’argument du film est assez improbable : un comptable de la mafia décide de balancer ses clients au FBI. Les truands se rendent donc à son appartement pour le dézinguer avec toute sa famille. Il a juste le temps de confier son plus jeune enfant, Phil, tête à claque de un mètre dix, à sa voisine Gloria qui, énorme hasard, est elle-même une tueuse repentie. Elle s’enfuit avec le garçon, passant d’hôtel en hôtel en semant quelques cadavres sur la route. Ce qui différencie "Gloria" des autres polars mafieux, c’est non seulement d’être écrit au féminin, mais aussi de refuser le glamour que Scorsese et Coppola ont apposé sur le crime organisé. La mafia de Cassavetes est sale, mal habillée, suante, roule dans des voitures pourries, vit dans des appartements ordinaires. La nonchalance des criminels du film renvoie à la nonchalance du cinéaste face à son matériau. Si Cassavetes réussit à maintenir la tension dans les climax à suspense, il préfère largement filmer les rapports entre Phil et Gloria. Dès le début, elle dit à sa voisine qu’elle «déteste les enfants, surtout les tiens». On la comprend : Phil est insupportable, petit macho grotesque et capricieux. L’affection que Gloria lui porte est toute relative : c’est d’abord une question de promesse et de principes. C’est finalement lui qui s’attache à elle, plus que l’inverse, et l’acte final de Gloria, sacrifice nécessaire pour sortir de l’impasse dans laquelle ils se sont engagés, sera son seul geste vraiment maternel. «Tu es comme toutes les femmes, tu veux être une mère», lui dit d’un air las son ancien boss. Le film pourrait s’arrêter là… La conclusion, happy end absurde et filmé comme tel, ressemble à un geste plein d’ironie de la part de Cassavetes vis-à-vis des studios. 

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