La Proie

Un braqueur de banque s’évade de prison pour mettre hors d’état de nuire un pédophile : avec un humour noir, un esprit anar et une réelle efficacité, Eric Valette confirme qu’il sait faire en France du cinéma de genre crédible. Christophe Chabert

On dresse des lauriers prématurés à Fred Cavayé, Olivier Marchal est désormais intouchable, mais Éric Valette reste négligé par ceux qui rêvent d’une résurrection du cinéma de genre français. Maléfique et Une affaire d’état  montraient pourtant que Valette en avait dans l’estomac, et qu’il savait adapter les codes du film d’horreur et du polar d’espionnage à la réalité hexagonale contemporaine. La Proie sonnera-t-il l’heure de la reconnaissance ? Si le film n’est pas sans défaut (un passage à vide au cœur du récit), il confirme l’intelligence de son metteur en scène et sa montée en puissance. L’intrigue, astucieuse, commence quand Franck Adrien, un braqueur de banques emprisonné (Dupontel, dans un impressionnant registre physique) confie à son co-détenu Jean-Louis ses secrets. Condamné — à tort selon lui — pour viol sur mineure, Jean-Louis est libéré et s’empresse de récupérer le magot planqué par Adrien, avant de kidnapper sa fille. Une sanglante évasion plus tard, Franck se met en chasse du pédophile tandis que la police est à ses propres trousses.

Les racines du mal

De cette course contre la montre, Valette tire d’abord des morceaux de bravoure décomplexés et rigoureusement mis en scène, que ce soit une poursuite sur les wagons du RER ou un gunfight percutant. Mais l’intérêt de "La Proie" est ailleurs, dans son escalier du mal où les apparences sont particulièrement trompeuses. Franck Adrien a tout de la brute froide et cruelle, et pourtant il est le véritable héros de La Proie. À l’inverse, Jean-Louis Maurel est un prototype de Français exemplaire avec ses airs de bourgeois attentionné et sa femme tirée à quatre épingles — Valette s’amuse à coller à Natacha Régnier une très visible croix catholique autour du cou. C’est la grande idée du film, là où résident sa subversion et l’esprit anar du réalisateur : Maurel est insoupçonnable car la société — et la police, à la ramasse, sauf le personnage de femme flic virile campée par Alice Taglioni — a déjà préjugé ses coupables. Le cabotinage hilarant de Stéphane Debac dans le rôle de Maurel donne à Valette l’opportunité d’envoyer quelques tacles rigolards contre les tenants d’une France où les criminels seraient forcément jeunes, basanés et parleraient comme des rappeurs. Si La Proie est un polar français exemplaire, c’est avant tout parce qu’il parle de la France, mais aussi parce qu’il la filme comme un territoire varié et complexe, source de fictions qui interrogeraient sans démagogie son état de déréliction.

La Proie
D’Éric Valette (Fr, 1h42) avec Albert Dupontel, Alice Taglioni, Stéphane Debac…

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