Olivier Babinet et Fred Kihn, réalisateurs de “Robert Mitchum est mort“, nous parlent de la confection de leur si singulier premier long-métrage. Propos recueillis par François Cau
Petit Bulletin : Pendant l'écriture, est-ce que les situations ont nourri les personnages, ou est-ce l'inverse ?
Fred Kihn : Au départ il y avait les deux personnages du comédien et de son manager. On a imaginé très rapidement la rencontre avec la vendeuse de vitamines, le passage à l'école de Lodz s'est imposé à nous lors du retour de notre voyage de repérages, puis on a pensé au personnage de Bakary Sangaré. On restait trop sur une énergie de tandem, ça manquait de relief pour faire évoluer leur relation.
Et ça vous a permis d'aborder le sujet des sans-papiers sous un angle plus décalé que dans le cinéma français récent...
Olivier Babinet : C'est une chose qu'on n'aime pas dans le cinéma français, justement. Quand on évoque un sujet comme celui-ci, il ne faut pas éclairer, ne pas mettre de musique, être forcément un peu dans le documentaire... Alors qu'on peut tout à fait traiter ces questions avec la poésie.
L'autre écueil du cinéma français que vous parvenez à éviter, c'est l'esthétique ou le ton télévisuel.
OB : Venant des formats courts, j'ai toujours eu peur d'attraper les défauts des gens qui pour moi ne faisaient pas de cinéma. Ce qu'on appelle la “famille Canal“, je ne me sens pas dedans. Quand on travaillait sur l'émission Le Bidule, c'était à part, on faisait notre truc dans notre coin. J'ai refusé d'en faire des produits dérivés comme d'en tirer un long-métrage, mais par contre je savais que je voulais faire du cinéma – ça a pris dix ans. Mais ça correspond pour moi à dix ans de réflexion sur le 7e art, à essayer de ne pas faire de sketch.
Le ton de votre film assume ses influences, mais comment êtes-vous parvenu à vous en détacher ?
FK : On s'est désinhibés à partir du moment où l'on s'est dits que tant qu'à être dans la fiction, autant y aller à fond, à se servir de tout l'arsenal qui sied au cinéma qu'on aime. Les accessoires, les fringues, les coupes de cheveux, les voitures, la musique...
Le film est rythmé par du psychobilly, un genre musical lui aussi très référencé...
FK : Pendant le repérage, on a écouté toutes sortes de musique, j'avais ramené des CDs d'Animal Collective, Olivier m'a ramené à ce son très particulier. On a continué à en écouter pendant tout le processus, c'était notre manière à nous de rester dans le truc. Mais à la fin, on n'avait plus d'argent pour se payer Animal Collective, les Cramps ou les Meteors. L'argent n'a pas été un problème pendant le tournage, mais ça a été dur pendant la post-production. En même temps, on tenait la morale de notre film, quand on leur fait dire «On fait avec ce qu'on a, c'est la leçon du rock'n'roll». On s'est tenus à ça jusqu'au bout, ne pas baisser les bras, il y en avait toujours un pour remonter le moral de l'autre.