Nos petites bulles - Mars 2011

Nos petites bulles - Mars 2011

Chaque mois, la sélection BD du Petit Bulletin. Mars 2011 : où il est question de Polina, de Min-sun, de Mick et Keith, de Lucky et de Philémon. Voici les BD qui ont retenu notre attention le mois dernier. Benjamin Mialot

Polina (Casterman)
Scénario et dessin : Bastien Vivès

«Il faudra bien un jour que Bastien Vivès arrête de réciter ses cours d'animation». Ne vous laissez-pas abuser par ces idioties dont les blogs sont féconds, Bastien Vivès est l'un des plus prodigieux auteurs de sa génération. Il vient de le prouver avec "Polina", élégante et émouvante plongée dans le milieu de la danse classique. Un contexte où se déploie son incroyable capacité à capter et rendre les mouvements des corps, fussent-ils gracieux, maladroits ou douloureux. Mais ce chef d'œuvre n'est pas seulement graphique : en s'intéressant au parcours de la dénommée Polina Oulinov, de ses premiers petits pas sous la direction du rude et exigeant Bojinski à l'apogée de sa carrière, Vivès signe une passionnante étude de la relation professeur-élève et sur la finalité de l'art en tant que négation d'un apprentissage sacrificiel. Dommage que l'éditeur ait laissé passer autant de fautes.

Sous l'eau, l'obscurité (Sarbacane)
Scénario et dessin : Yoon-sun Park

Min-sun, huit ans, ne partage pas l'obsession des autres enfants de son âge : devenir, comme sa grande sœur et l'une de ses camarades de classe, une star dans son école, en l'occurrence en passant de la case «débutants» à la case «compétition» de son club de natation. Tel est le point de départ de "Sous l'eau, l'obscurité", première publication française de Yoon-sun Park, une jeune artiste née à Séoul. Vous vous attendez à une sorte de shônen sportif ? Vous avez tout faux. Prenant place à la fin des années 80, le récit n'a pas pour vocation d'encourager au dépassement de soi ni de décortiquer le sport pratiqué par la petite Min-sun. Au contraire, il est, avec sa bichromie naïve et bleutée, prétexte à la fois à un touchant portrait de fillette et à une critique édifiante d'une société sud-coréenne obnubilée par la réussite.

Backstage – Tome 1 (Fluide Glacial)
Scénario : James Dessin : Boris Mirroir

Les dernières fois que l'on a autant pouffé à la lecture d'une BD musicale remontent aux sorties respectives du "Haut de gamme" de Binet et du "Allegreto Deprimoso" de Romain Dutreix. Comme par hasard, les deux étaient, comme l'album qui nous occupe ici, frappés du sceau de Fluide Glacial. Ceci étant, "Backstage" s'attaque à un sujet plus épineux : les Rolling Stones, increvables icônes du rock'n'roll dont on découvre ici les débuts, le long de strips parodiques un peu trop partisans (Keith Richards est l'incarnation du cool, Mick Jagger un débile léger accroc au pudding et qui n'ose pas traverser en dehors des clous) mais sacrément documentés (le nom du premier groupe de Jagger, la date de sa rencontre avec Keith sur le quai de la gare de Dartfort, tout est exact) et, surtout, la plupart du temps, tordants. Les planches de Borir Mirroir, aux traits so british et tramées à l'ancienne, n'y sont pas pour rien.

Lucky in Love – Première partie (Ça et Là)
Scénariste : Georges L. Chieffet Dessin : Stephen De Stefano

Encore un bijou portant la marque des éditions Ça et Là et, avant elle, du temple de la BD indé ricaine, Fantagraphics. À mi-chemin du récit d'apprentissage, de la fresque historique et de l'étude mythologique, "Lucky in Love" conte le destin tour à tour amusant et tragique d'un ado du New-Jersey à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Son nom : Lucky Testaduda. Son rêve : intégrer l'armée de l'air, devenir un héros et, surtout, se taper des nanas gaulées comme des pin-ups. Seulement voilà, si le rêve est une fenêtre ouverte, la réalité est un mur que le pauvre Lucky va se prendre de plein fouet : pas très grand et pas bien dégourdi, Lucky n'aura rapidement rien du héros qu'il fantasmait au moment de s'engager, ni sur le plan guerrier, ni sur le plan sexuel. Il aura cependant beaucoup à voir avec les personnages des premiers dessin-animés, ceci grâce aux rondeurs et aplats rétros caractérisant la mise en images de De Stefano. Les intégrales du mois

Philémon – Intégrale en trois volumes (Dargaud) Scénario et dessin : Fred

L'événement patrimonial du mois n'est pas la réédition par Glénat des douze tomes de "Titeuf" à l'occasion de la sortie du film adapté des potacheries du blondinet créé par Zep. Ce n'est pas non plus celle, superbe de sobriété (bravo Casterman), des versions noir et blanc des "Ethiopiques", des "Celtiques" et de "La Jeunesse", trois recueils estampillés "Corto Maltese". Mais ça aurait pu, le trait d'Hugo Pratt et son sens de l'aventure étant aussi impérissables que le goût d'une madeleine chez Proust. Non, l'événement patrimonial du mois, c'est sans conteste la ressortie en trois pavés de grande classe du "Philémon" de Fred, chez Dargaud. Qui est Philémon ? Un personnage apparu en 1965 dans les pages de la mythique revue "Pilote" et qui à l'époque, dans le cadre d'histoires aussi loufoques que poétiques, a dynamité les codes de la bande-dessinée. Autrement dit une raison légitime de taper dans ses économies. Et aussi... Le Dernier Cosmonaute (Tanibis) : Par un petit nouveau du nom d'Aurélien Maury, un roman graphique sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte qu'on jurerait sorti des crayons de Chris Ware ou Chester Brown. Difficile de ne pas se reconnaître dans son héros, un trentenaire du nom de Larry partagé entre ses sentiments pour la belle Alice et sa passion des étoiles. Ralph Azham – Tome 1 (Dupuis) : Depuis "Donjon", on le sait, Lewis Trondheim et l'heroic fantasy, c'est une drôle de romance où l'absurdité le dispute au suspens. Ralpha Azham, avec son élu raté et tête-à-claques et son village tyrannisé peuplé de couards et de faux-culs, le rappelle avec panache. Mention spéciale aux couleurs bubblegum. Nosferatu – Tome 1 (Soleil) : Après les zombies, les orcs et les assassins moyen-orientaux, l'hyperactif Olivier Peru s'attaque au mythe du vampire et une fois de plus, ça lui réussit. Quant à Stephano Martino, il rappelle avec ce premier travail hexagonal, si besoin était, que les Italiens ont le chic pour en mettre plein la vue. Far Away (Glénat) : Allergiques aux bons sentiments, passez votre chemin, ce one-shot en déborde. Pas de quoi crier à la mièvrerie pour autant : cette romance entre un routier coincé par la neige et une femme mûre accueillante est aussi magistralement peinte (par Gabriele Gamberini, à la gouache) qu'elle est finement narrée. Voyage aux îles de la Désolation (Futuropolis) : Époustouflant carnet de voyage que celui-ci, qui voit Emmanuel Lepage raconter avec autant de virtuosité que d'humilité sa découverte des Terres Australes et Antarctiques Françaises et sa rencontre avec les scientifiques qui y travaillent. Et ces portraits d'une nature indomptée de valoir tous les discours écologiques du monde.

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