Mardi 30 octobre 2018 de Paolo Sorrentino (It-Fr, 2h38) avec Toni Servillo, Elena Sofia Ricci, Riccardo Scamarcio…
Cannes jour 10 : Bonne conduite
Par Dorotée Aznar
Publié Samedi 21 mai 2011
Drive de Nicolas Winding Refn. This must be the place de Paolo Sorrentino.
Dans la dernière ligne droite du festival, celle où l'on risque à tout instant la sortie de route, les organisateurs de ce Cannes 2011 ont eu la bonne idée de programmer un film qui s'appelle Drive. C'est logique et bienvenu, car le nouveau Nicolas Winding Refn, qu'on l'aime ou pas, a fait l'effet d'un shoot de red bull sur les festivaliers. Le cinéaste danois avait tenté une première fois l'aventure hollywoodienne avec Inside job (rien à voir avec le docu coup de poing sorti l'an dernier), dont l'échec public et critique l'ont renvoyé direct et la rage au cœur vers son pays natal. Depuis, entre la fin de sa trilogie Pusher, l'incroyable Bronson et le très personnel Valhalla Rising, Winding Refn est devenu un des cinéastes qui compte dans le paysage mondial. Mais Drive n'a rien d'un film personnel, c'est une commande ouvertement commerciale qu'il a reprise au pied levé et sur laquelle il a pu déverser sa cinéphilie et son incontestable talent de metteur en scène.
On y suit un cascadeur de cinéma qui, la nuit tombée, devient chauffeur pour des hold-ups millimétrés. Un super-héros à l'envers, particulièrement taciturne et insondable, qui derrière sa voix douce et son blouson élimé cache peut-être un monument de violence sans états d'âme. Ryan Gossling en fait beaucoup dans l'art d'en faire peu, mais sa prestation est à l'image d'un film qui vise la précision absolue, le contrôle permanent même dans ses excès. Le générique s'affiche en lettres roses manuscrites et le cinéphile averti reconnaît instantanément la graphie de Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin. Histoire d'enfoncer le clou, Winding Refn inonde la bande-son d'électro-pop néo-80's, et fait de son anti-héros un anachronisme vivant, reflet des personnages basass cassant des tronches à main nue et maniant le fusil à pompe pour refaire les peintures des motels en rouge sang. Drive est, à cet égard, le double exact d'un autre film de la compétition, The Artist. Les références s'y affichent ouvertement et le fétichisme y règne en maître. Selon ses goûts, on préfèrera l'un ou l'autre de ces exercices de style, qui dans le fond ont un peu les mêmes défauts (un personnage féminin stéréotypé, un scénario se contentant d'aligner les scènes à faire) mais aussi une qualité fondamentale : un sacré talent pour s'approprier les codes et les accommoder à sa propre sauce. Winding Refn n'est jamais pris en faute de goût, de rythme ou d'invention dans ce bolide qui fonce à deux cents à l'heure et qui renvoie les pauvres gogos qui s'extasient devant Fast and furious à leur Playstation. Bref, Drive, c'est le pied et ça ne fait pas pour autant perdre des neurones.
On craignait un peu la nouvelle livraison de Paolo Sorrentino après son formidable Il Divo. On craignait d'autant plus que le film s'était monté suite à la rencontre cannoise entre Sorrentino et Sean Penn (alors Président du jury), et qu'il fait partie de ses œuvres apatrides à force de coproductions européennes (7 jingles avant la première image : record du festival !). La première demi-heure ne chasse pas vraiment les doutes. Penn y incarne une sorte de Robert Smith dépressif, traînant dans une petite ville irlandaise son ennui entre sa meilleure amie gothique et sa femme hyper-active. Cette performance trop voyante, ajoutée à l'habituelle emphase visuelle du cinéaste, donne le sentiment que Sorrentino veut se mesurer aux frères Coen dans le portrait au vitriol d'une bande de freaks idiots marinant dans leur clichés (c'est Frances MacDormand qui joue l'épouse, la comparaison est donc inévitable). Quand le film sort de la chronique pour poser son enjeu (retrouver le tortionnaire nazi que le père de Penn a passé sa vie à traquer), This must be the place se leste d'un sujet casse-gueule dont on se demande bien ce qu'il vient foutre dans une œuvre jusqu'ici frappante de légèreté pop. Mais cette tambouille finit par trouver sa logique, qui repose justement sur le mélange des contraires et la mise en pièce systématique de ses stéréotypes. Penn n'est pas un Forrest Gump rock, un benêt neurasthénique échoué dans une maison trop grande pour lui. Le personnage développe une réelle santé, un regard lucide sur le monde qui l'entoure et qu'il exprime à travers des dialogues d'une cinglante ironie. Le film est alors très bon sur son versant comédie, toutes les rencontres de Penn aux États-Unis permettant des moments de tendresse ou d'étrangeté qui ne tombent jamais dans le mépris condescendant. Plus complexe est la part tragique de l'histoire, qui verse dans le pathos larme à l'œil un peu trop facilement. Sans parler de la résolution finale, d'un goût très moyen et qui lui vaut une détestation absolue d'une partie de la critique cannoise.
Si Sorrentino réussit à nous émouvoir avec ce film très mineur, c'est avant tout parce qu'il affiche au grand jour son amour pour le rock, sensible dans ses œuvres précédentes, ici au cœur de sa démarche. Il a ainsi réuni à la bande-son deux immenses artistes : David Byrne et Will Oldham. Byrne apparaît aussi dans deux scènes et dans son propre rôle. La première est une version live du morceau des Talking heads qui donne son titre au film et, comme l'avait fait Jonathan Demme dans Stop makig sense, Sorrentino fait se télescoper sa propre mise en scène et celle que Byrne aime donner à ses shows sur scène. La seconde est un dialogue entre Byrne et Penn où deux visions du rock se confrontent : celle d'un artiste sans concession aux modes et au public, et celle d'une pop commerciale répondant aux désirs des teenagers mal dans leur peau. Plus tard, Sorrentino orchestrera une scène très drôle où un gamin demande à Penn d'interpréter "This must be the place d'Arcade fire". Penn rectifie et précise que c'est une reprise. Le gamin lui dit que c'est pareil. Ici se dit le projet de Sorrentino : non pas inventer des histoires, mais les reprendre avec un style personnel et virtuose, leur donner une nouvelle jeunesse en les adaptant à l'air du temps. C'est le petit charme de son dernier film, qui sonnait malgré tout comme le début de la fin de ce Cannes 2011. Du coup, demain, quelques mots sur Bilge Ceylan et Mihaileanu, puis bilan et pronostic avant palmarès — dont la géographie s'annonce carrément complexe cette année !
Christophe Chabert
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