Belle fin de saison pour la Ciné-collection du GRAC avec la reprise des "Monstres", une œuvre phare de la comédie à l'italienne signée Risi, Scola, Age et Scarpelli, où deux acteurs effectivement monstrueux refont le portrait façon puzzle de la bassesse humaine.Christophe Chabert
Eldorado nostalgique du cinéma populaire européen, la comédie à l'italienne possède plusieurs visages. Les Monstres est celui qui affiche sa plus grande santé, car y sont réunis dans une effervescence créative tous les acteurs majeurs du courant : Dino Risi derrière la caméra, Ettore Scola pour inventer les histoires, le duo Age et Scarpelli pour mettre en forme les scénarios et les dialogues, et deux acteurs au sommet de leur art, se métamorphosant de sketchs en sketchs pour incarner tous les rôles ou presque : Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman. Au départ, on peut voir dans cette enfilade de saynètes parfois très courtes (et allant même jusqu'à une antique caméra cachée !) une solution de facilité, une manière simple et efficace de débiter du gag, créant un genre qui fera école et qui essaimera jusqu'à aujourd'hui dans les «formats courts» télévisuels. Mais c'est aussi une insoumission fondamentale, dans la forme comme dans le fond, à toute règle admise et, par la structure du film comme dans la mise en scène de chaque segment, une recherche obsessionnelle du rythme. Les Monstres ne débande jamais pendant ses cent dix minutes, alternant histoire en un seul plan ("Le Monstre") ou vrai récit construit sur plusieurs actes ("La Journée d'un parlementaire", par exemple).
Premier degré, dernier degré
La première histoire (La Bonne Éducation) donne le ton : un père apprend la vie à son fiston, et la leçon consiste à savoir tricher, se battre et mentir. Chute : le gamin assassine son paternel quelques années plus tard pour de l'argent ! Risi et ses acolytes recensent ensuite les travers de l'homo italianus, ses bassesses et ses compromissions, allant les débusquer dans toutes les strates de la société : le petit peuple à la beauferie autosatisfaite ou les bourgeois beaux parleurs (ce grand moment qu'est le sketch La Victime où un homme marié tente de quitter sa maîtresse en la poussant à prendre la décision à sa place), les hommes d'Église ou les hommes d'État, les Italiens du Nord ou les Italiens du Sud. Ce jeu de massacre n'est jamais gratuitement méchant pour deux raisons : d'abord l'élégance de la mise en scène, qui ne néglige jamais les cadres, les mouvements d'appareil ou le montage sous prétexte qu'il s'agit d'une comédie populaire ; ensuite, le plaisir avec lequel Tognazzi et Gassman incarnent ces monstres ordinaires. Comédiens du premier degré, aimant se déguiser et se travestir, ils ne jouent jamais la complicité mesquine avec le spectateur, assumant sans ironie la bêtise des personnages. Le miroir est d'autant plus cruel qu'il n'est jamais déformant ; il n'est que le reflet hilarant de la misère humaine sous toutes ses formes.
Les Monstres
Dans les salles du GRAC
Jusqu'au lundi 4 juillet