Le grand bain cinéphile

Cela faisait longtemps que l’été cinéma n’avait pas proposé autant de reprises, rétrospectives et projections exceptionnelles, qui ne manqueront pas de se frayer un chemin au milieu des blockbusters en 3D. Revue des inratables de la saison. Christophe Chabert

Depuis qu’il est revenu au cinéma (et de quelle manière, grâce aux grandioses Quatre nuits avec Anna et Essential killing), Jerzy Skolimowski connaît un regain d’intérêt des cinéphiles français pour son œuvre. Carlotta, toujours irréprochable dans sa politique de découverte du patrimoine cinématographique, propose de revoir sur grand écran et dans une copie numérique renversante Deep end (à partir du 13 juillet au Comœdia), tourné à Londres en 1970 par le réalisateur polonais exilé. On y voit Mike, 15 ans, maladroit et timide, embauché dans une piscine londonienne où il tombe raide dingue de sa collègue de travail, une rousse sexy nommée Susan. Celle-ci ne semble guère intéressée par le garçon, et préfère coucher avec un prof de sport plus âgé. Entre les avances des rombières qui défilent dans sa cabine et le dédain de Susan, Mike se forge peu à peu un caractère bien trempé, qui connaîtra son apogée dans une séquence d’une grande liberté où les deux collègues, nus dans la piscine vide, s’ébattent au milieu de seaux de peinture renversés comme autant d’éjaculations libératoires. Mais c’est le film tout entier qui déborde d’une énergie représentative de son époque, où les tabous moraux sautent et où les fantasmes se réalisent enfin. Skolimowski reste pourtant à la lisère entre le réel et sa projection érotique, produisant une sidérante tension sexuelle. Les acteurs, comme la caméra, ne tiennent pas en place ; courir, nager, grimper au mur, se perdre dans les rues du swinging sixties, tout est bon pour se dépenser dans Deep end, film bourré de vie et de sève, de fluides et de collisions.

Kubrick partout

Face à cette explosion pop et anarchique, le cinéma de Stanley Kubrick fait figure de monument rigide et ultra-contrôlé. Mais il suffit de revoir Orange mécanique, tourné un an après Deep end au même endroit, pour se rendre compte que le maître n’était pas hermétique aux modes de son époque. On ne va pas refaire un long développement sur l’œuvre de Kubrick puisqu’on en avait déjà beaucoup parlé au moment de la rétrospective de l’Institut Lumière. Mais la Warner a décidé, dans un geste inédit que le numérique (décidément plus précieux quand il s’agit de faire revivre l’Histoire du cinéma que de montrer des robots qui se foutent sur la gueule en 3D) rend possible, a décidé de diffuser cette intégrale tout l’été dans des cinémas commerciaux (entendez : pas des cinémathèques). C’est le Comœdia qui l’accueille jusqu’à fin août, et comment refuser de replonger dans des chef-d’œuvres comme 2001, Lolita, Shining, Barry Lyndon, Full metal jacket ou Eyes vide shut entre deux nouveautés ? Les copies sont belles à pleurer, les films provoquent toujours la même sidération, et font même regretter un peu ce temps où des cinéastes utilisaient pleinement les possibilités de leur media.

Malick et Farhadi, présent et passé…

Cela dit, s’il y en a un dont la démarche se rapproche de celle de Kubrick, c’est bien Terrence Malick. Ceux qui n’ont pas encore vu The Tree of life peuvent encore se rattraper du côté de La Fourmi. Les autres se tourneront vers l’Institut Lumière pour (re)voir ses deux premiers films en copies neuves : La Balade sauvage(du 13 au 17 juillet) et Les Moissons du ciel (le 16 août en plein air, place Ambroise Courtois). Dès sa première œuvre, où Malick suit l’errance d’un couple maudit composé d’une adolescente romantique (Sissy Spacek) et d’un tueur en série (Martin Sheen). Tout Malick est déjà là, même si, à l’époque, il est encore attaché à l’idée de scénario, chose dont il se défiera très vite. Mais l’élégie de la nature, le goût du fragment, la voix-off déconnectée des images : un grand styliste naissait, qui n’allait cesser ensuite de pousser sa vision du monde et du cinéma. Asghar Farhadi est aussi au cœur de l’actualité grâce au succès inattendu, exceptionnel et mérité d’Une séparation. Son distributeur a la bonne idée de ressortir pendant l’été ses deux films précédents : La Fête du feu (qu’on n’a pas vu) et le déjà très puissant À propos d’Elly. Chronique d’une disparition énigmatique qui fait voler en éclats l’apparente tranquillité d’un groupe d’étudiants en droit au cours d’un week-end au bord de la mer, À propos d’Elly possède déjà cette qualité d’écriture et de regard qui fait le prix d’Une séparation, cette capacité à transformer un drame banal en mécanique de thriller psychologique. Le film avait déjà eu un certain écho à sa sortie (nous en avions dit le plus grand bien dans nos colonnes) ; espérons que cette reprise précoce séduira les nouveaux fans de Farhadi.

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