Ciel, mon théâtre !

Changements de direction à la tête des théâtres, nouvelles infrastructures, orientations artistiques différentes pour les lieux existants… Ces bouleversements vont-ils modifier en profondeur le paysage théâtral lyonnais ? Dorotée Aznar

Rarement les institutions culturelles lyonnaises, et notamment les théâtres, auront connu de tels bouleversements. Dans un milieu dans lequel les directeurs ont la réputation (et souvent l’habitude) de rester en fonction autant que faire ce peut, parfois bien au-delà du raisonnable, on a assisté la saison dernière à des changements profonds. À l’échelle locale, le plus médiatique fut sans doute celui occasionné, en juillet 2010, par le décès de Philippe Faure, directeur du Théâtre de la Croix-Rousse depuis 1994 et dont la succession a été le révélateur d’un malaise profond chez les metteurs en scène de la région. Dans les semaines qui ont suivi l’annonce de la disparition de Philippe Faure, dix-sept candidats ont fait connaître leur volonté de prendre la direction du lieu. Une grande partie d’entre eux était composée de metteurs en scène à la recherche d’un lieu dans lequel établir leur compagnie, un lieu dans lequel créer leurs spectacles et, finalement, un moyen de sortir d’une forme de précarité. Et le tollé provoqué par la décision de la Ville de Lyon (propriétaire du théâtre) de ne pas lancer d’appel à candidatures pour le recrutement d’un nouveau directeur ne dit pas autre chose : le sentiment des artistes de n’être pas entendus. «Changements dans la continuité»
Si la nomination du metteur en scène Jean Lacornerie, en décembre 2010, à la tête du Théâtre de la Croix-Rousse n’est guère sujette à critiques, l’intention politique qui l’accompagne est peut-être, en revanche, plus discutable. Les qualités de Jean Lacornerie à la tête d’une institution sont en effet avérées. À 48 ans, il dirige la Renaissance à Oullins depuis 2002, théâtre dans lequel il a développé une programmation originale alliant théâtre et musique, y proposant également ses propres créations et multipliant les occasions de sortir le théâtre de ses murs et de ses carcans formels. Plus surprenante est la volonté affichée par la Ville de Lyon de «ne pas changer fondamentalement ce que le public attend». Une théorie du «changement dans la continuité», entendue également lors du remplacement de Guy Darmet par Dominique Hervieu à la tête de la Maison et de la Biennale de la Danse (lire aussi l'article en page 10), prétendument souhaitée par le public, mais également confortable pour les élus. Changements à l’unanimité
À Oullins, suite à l’annonce du départ de Jean Lacornerie, un jury, composé par le conseil d'administration du Théâtre, des représentants de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (la DRAC, représentant l’État), de la Région Rhône-Alpes et de la Ville d’Oullins, a décidé de lancer un appel à projets pour nommer un nouveau directeur au Théâtre de La Renaissance. Parmi les 48 candidats qui se sont fait connaître, sept ont été retenus pour défendre leur projet artistique. Finalement, ce jury a sélectionné à l’unanimité la candidature de Roland Auzet. Circassien et musicien né en 1964, ce dernier a mis en avant son désir de maintenir la double identité "Théâtre et musique" du lieu développée par Jean Lacornerie, et associée à d’autres disciplines. Le nouveau directeur de la Renaissance a d’ores et déjà fait savoir qu’il envisageait de revenir à des saisons théâtrales fondées sur des thématiques ainsi que la suppression du festival de cabaret lancé il y a deux ans à la Renaissance. Changements inopinés
Sans y avoir été invité, après seize années de bons et loyaux services à la tête du Théâtre Le Point du Jour, Michel Raskine a fait part de son intention de quitter la direction de son théâtre. Un départ inattendu qui n’est en aucun cas un adieu au théâtre, comme il s’en explique : «Je ne fais pas de spectacle en 2011-2012 parce que je ne veux pas faire mes adieux. Je vais continuer à créer. Je n’ai pas de projet précis, mais je ne quitte pas Lyon et j’espère que mes spectacles seront toujours joués dans cette ville». En attendant la nomination d’un nouveau directeur, cette saison, c’est Gwenaël Morin qui s’est vu remettre les «clés» pour effectuer l’année de transition. S’il paraît assez logique que le metteur en scène, très proche du Point du Jour depuis de nombreuses années, dépose une candidature fondée sur le concept de Théâtre Permanent déjà expérimenté par sa compagnie à Aubervilliers, d’autres questions restent en suspens, notamment celle du financement du lieu. À ce sujet, le Département du Rhône a fait savoir, le 2 septembre, que des discussions étaient en cours avec le Théâtre de la Croix-Rousse, le Théâtre des Ateliers et du Point du Jour afin de répartir entre ces lieux «une enveloppe de 400 000€». Une seule certitude selon l’adjoint au maire de Lyon, délégué à la culture, Georges Képénékian : «Le Point du Jour restera un théâtre et ne sera pas abandonné par les tutelles».Changements de taille
Les saisons à venir seront marquées par la venue de nouvelles têtes donc, mais aussi de nouveaux lieux pour le théâtre. En effet, les gigantesques travaux entamés en 2007 au Théâtre National Populaire (TNP) de Villeurbanne vont se terminer prochainement. La réouverture du Grand Théâtre aura lieu le 11 novembre 2011, en écho avec l’ouverture historique du TNP le 11 novembre 1920. Cinq ans de travaux, un coût de 32, 8 millions d’euro et un lieu dont la superficie passe de 7000 à 15000 mètres carrés. Ce "TNP nouveau" que l’actuel directeur des lieux, Christian Schiaretti, appelait de ses vœux sera-t-il, comme annoncé, «le plus bel outil de la décentralisation» ? Christian Schiaretti affirme que son objectif est de «réinscrire le sigle TNP dans la tradition du théâtre populaire. Un sigle qui porte sa propre histoire et sa propre légende». Ce metteur en scène, qui se définit comme «un tenant du répertoire national et du théâtre permanent», entend donc bien continuer à développer le concept de troupe permanente dans son théâtre, capable de jouer un répertoire qui s’enrichit chaque année de nouvelles créations. Changements avérés
Au-delà des changements de personnels qui ne devraient pas réellement affecter l’offre proposée aux spectateurs lyonnais cette saison, le vrai bouleversement dans le paysage théâtral lyonnais, sensible depuis plusieurs saisons, est sans doute une meilleure mise en réseau des lieux qui envisagent désormais de travailler à des projets communs. On peut voir notamment, par exemple, comment le Festival Sens Interdits, imaginé par les Célestins, propose aux spectateurs de se rendre au Théâtre de l’Élysée, au Théâtre Nouvelle Génération, aux Ateliers, à la Croix-Rousse… La révolution n’aura pas lieu en 2011-2012, des incontournables du théâtre contemporain continueront à contourner consciencieusement Lyon mais, au-delà d’un travail "en bonne intelligence", de vrais partenariats se nouent entre les lieux, ouvrant de nouvelles perspectives au public.

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