Restless

Deux adolescents flirtent avec la mort avant de flirter tout court dans ce beau film, sensible et pudique, d’un Gus Van Sant revenu de ses expérimentations arty. Christophe Chabert

Dans Serial noceurs, Will Ferrell initiait Owen Wilson au «funeral crashing» au cours d’une scène hilarante : il s’incrustait dans un enterrement pour y séduire une veuve éplorée. Dans Restless, c’est à peu près ce que fait Enoch (Henry Hopper, fils de Dennis), mais avec un tout autre but. S’il traîne de cérémonies funéraires en cérémonies funéraires, c’est pour s’approcher au plus près de la mort, qui le fascine intellectuellement et le pétrifie émotionnellement. Son manège est démasqué par la belle Anabel (Mia Wasikowska, l’Alice de Burton), qui a le même hobby que lui. Là, on pourrait penser à une variante autour du début de Fight club ; et une fois encore, Restless désamorce le potentiel morbide ou scandaleux de son sujet en livrant assez tôt la motivation d’Anabel. Atteinte d’une tumeur incurable, elle va aux enterrements des autres pour mieux se préparer au sien. Au-delà de ce flirt étrange avec la mort (Enoch a aussi un copain fantôme, un kamikaze japonais décédé pendant la deuxième guerre mondiale), c’est surtout le flirt des deux ados qui intéresse Gus Van Sant, et Restless est d'abord une belle et sensible histoire d’amour.

Feuilles mortes

Le cinéaste n’a pas écrit le scénario (il est signé Jason Lew) ; il est même certain que d’autres metteurs en scène auraient été plus évidents pour le porter à l'écran (Tim Burton, notamment). Mais ce que Van Sant apporte à Restless est considérable : un regard fait de retenue et d’intelligence, une mélancolie qui refuse le mélodrame et préfère l’énergie vitale de la jeunesse à l’accablement provoqué par une issue tragique. L’automne qui s’abat sur Portland permet au cinéaste et à son fidèle chef-opérateur Harris Savides (un tandem devenu indissociable et quasi-fusionnel) de retranscrire par les teintes crépusculaires de l’image la sensation d’entre-deux qui s’empare des personnages : entre la vie et la mort donc, mais aussi entre la tristesse et l’ironie, entre l’enfance et l’âge adulte, entre les regrets du passé et l’appétit du présent. La tendresse et l’empathie avec lesquelles Van Sant observe ses deux héros l’autorisent à oser l’impensable : se mettre lui aussi à jouer avec la mort comme on joue avec le feu. C’est ce moment extraordinaire où il va tirer les larmes du spectateur, pour mieux lui dire de les réprimer et de les garder pour plus tard. Un moment de fausse impudeur qui prépare la pudeur magnifique avec laquelle il conclue le récit. Restless est alors, au bas mot, bouleversant.

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